L'édito de Pascal Boniface

« L’art de la politique, trancher le nœud gordien » – 3 questions à Jacques Myard

Édito
29 juin 2021
Par Jacques Myard, maire de Maison Laffitte, ancien député des Yvelines et membre du Conseil d’Administration de l’IRIS
Ancien député des Yvelines, Jacques Myard est maire de Maison Laffitte, il est également membre du Conseil d’Administration de l’IRIS. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « L’art de la politique, trancher le nœud gordien » aux éditions L’Harmattan.

Vous voyez une grande confrontation entre la Chine et les États-Unis, la Chine occupant le vide laissé par Washington. L’arrivée de Biden au pouvoir ne change-t-elle pas les choses ?

Les relations entre les États-Unis et la Chine sont à la fois simples et complexes.

  • Simples, car elles illustrent les relations de la première puissance mondiale – les États-Unis – et une puissance mondiale nouvelle – la Chine – qui veut prendre sur la scène internationale toute sa place, pour ne pas dire prendre sa revanche. Les États-Unis sont conscients que leur statut de première puissance mondiale est remis en cause d’où leurs tensions, leurs frustrations. Dans cette situation de tension, Trump a pratiqué une singulière stratégie de repli dans les organisations internationales par hostilité à la diplomatie multilatérale. La Chine a aisément comblé le vide… au grand étonnement de Washington.

  • Simples aussi, car Washington voit dans la montée en puissance militaire de la Chine un danger réel partagé par les pays du Sud-Est asiatique : Japon, Indonésie, Inde, Vietnam et Australie. Cette analyse est partagée par la nouvelle administration Biden qui a heureusement décidé de reprendre sa place dans les organisations internationales, palliant ainsi la faute de Trump.


Mais les relations internationales des États-Unis ne sont pas simples, elles sont même d’une rare complexité, il y a plusieurs pilotes dans l’avion. La complexité de la politique étrangère résulte très souvent d’un manque de coordination entre plusieurs acteurs : le Pentagone, la CIA, le Département de la Justice, du Commerce, le Département d’État et enfin la Maison-Blanche. Très souvent ces entités ont des positions différentes, voire divergentes. Il est encore trop tôt pour savoir si Biden va pouvoir imposer une ligne ferme à l’égard de la Chine ou si des intérêts privés vont demander plus de souplesse pour pénétrer le marché chinois. Du côté chinois, Pékin va devoir également pondérer et nuancer sa volonté de revanche que ses diplomates de choc, les « loups combattants », expriment au mépris des règles de courtoisie diplomatique.

L’Hubris de la Chine va vite se heurter à de multiples oppositions.

Nous vivons dans un monde de puissances relatives. Une puissance qui veut imposer aux autres sa politique va susciter des coalitions multiples contre elle.

Dans ce jeu international, la France doit impérativement garder son indépendance et se garder de rallier totalement le camp occidental pour contrer la Chine, tout en étant lucide sur la politique chinoise.

Nous sommes attachés à la liberté des mers et la liberté de passage dans les détroits. A ce titre, c’est à raison que nos navires, par leur présence dans les zones revendiquées par la Chine comme sa mer territoriale, maintiennent la liberté de circulation.On ne peut exclure néanmoins de sérieux incidents, soyons lucides.

Emmanuel Macron se définit comme gaullo-mitterrandiste, vous le décrivez comme atlantiste, pourquoi ?

Emmanuel Macron s’est fait élire sur un projet ultra-libéral en ayant en tête le modèle de société américain, son concept de start-up nation pour la France, vient illustrer ce projet.

Son action, lors de l’affaire Alstom, tout comme ses réserves sur les services publics à la française, confirment son idéologie libérale.

Surtout, sa politique de flagornerie à l’égard de Trump est saisissante et révélatrice de l’admiration qu’il porte au système américain malgré les tensions par à-coups avec l’ancien président américain.

Enfin, sa fuite en avant vers une Europe fédérale, un projet totalement décalé par rapport à la volonté de nos partenaires européens, lui dénie tout qualificatif de gaulliste et même de mitterrandiste, car François Mitterrand a, certes, mis l’euro sur pied mais il pensait ainsi maîtriser la puissance allemande…

Reste à prouver qu’il agirait de même aujourd’hui.

Vous condamnez la qualification du colonialisme comme crime contre l’humanité. Pensez-vous que le colonialisme a joué un rôle positif ?

Le colonialisme a été un temps historique avec des périodes sombres et d’autres de fraternité et de développement.

Notre patrie, la Gaule, a été conquise par Jules César : ce bon Jules César a détruit Cénabum – l’actuel Orléans -, massacré sa population, l’a vendue en esclavage… Mais qui peut aujourd’hui nier l’apport civilisationnel de Rome à la Gaule, même si nous restons heureusement des Gaulois réfractaires et que la structure de la langue française – sujet, verbe, complément – est une structure celtique et non latine. Nos ancêtres les Gaulois ont d’ailleurs utilisé l’alphabet grec avant d’adopter celui de Rome.

Prenons le cas de l’Algérie, nier l’apport positif du colonialisme relève du négationnisme historique. Macron y est tombé, les deux pieds joints ! Nombre de « patriotes » algériens le reconnaissent aujourd’hui, la France a créé l’Algérie moderne, que cela plaise ou déplaise, c’est la réalité.

Sur le plan historique, la conquête a donné lieu à de terribles combats, mais il convient de ne pas oublier que cette expédition avait pour objectif de faire cesser les razzias des barbaresques qui écumaient le sud de la France, faisant des prisonniers pour les réduire en esclavage.

Le temps de la décolonisation est venu, les peuples ont pris leur destin en main et soixante ans après, ils ne peuvent continuer à accuser leur colonisateur de leurs propres fautes.

A ce titre, il convient de rappeler plusieurs facteurs qui ont lourdement pesé sur l’après-indépendance. Il y a d’abord l’explosion démographique avec un taux de croissance annuel supérieur à 2,4 % pendant des décennies. L’Algérie avait 10 millions d’habitants en 1962, elle en a 40 aujourd’hui.Je me souviens d’un échange avec le directeur du plan algérien qui me confirmait que dans les années 1990, 80 % des étudiants formés dans les universités ne trouvaient pas de travail à la sortie de leur formation, beaucoup ont rejoint les maquis des islamistes. Par ailleurs, le taux de croissance annuel de 2 % et plus rend illusoire tout décollage économique. Le pouvoir politique a totalement nié cette situation démographique. Dans les années 1970, une mission du PNUD de l’ONU avait voulu alerter le gouvernement algérien, elle a été reconduite à l’aéroport. La croissance démographique était la marque d’une volonté de puissance.

En deuxième lieu, le gouvernement Boumédiène a voulu rompre le lien linguistique avec la France. Il demanda dans les années 1970 à Nasser de lui envoyer des professeurs d’arabe. Nasser a alors envoyé en Algérie 4000 Frères musulmans dont il voulait se débarrasser. Ces derniers ont constitué des madrasas et diffusé leur idéologie. Cette propagande islamiste liée à l’échec économique, à l’explosion démographique, a provoqué,15 ans plus tard, la guerre civile. La France n’est pas responsable de ces choix calamiteux. Les gouvernements algériens se doivent d’assumer leurs choix et cesser de faire de la France un bouc émissaire pour faire diversion.

 
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