08.10.2024
« Faut-il enterrer la défense européenne ? » Trois questions à Nicole Gnesotto
Édito
15 mai 2014
Nicole Gnesotto est Professeur au CNAM, titulaire de la chaire Union européenne, Vice-présidente de Notre Europe-Institut Jacques Delors. Elle répond à mes questions à propos de son dernier ouvrage Faut-il enterrer la défense européenne ? (La documentation française, collection Réflexeeurope).
Beaucoup d’espoirs avaient été placés dans le Conseil européen de décembre 2013 consacré à la défense. N’y a-t-il pas eu une fois de plus matière à déception ?
Comme toujours s’agissant d’Europe, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. La simple tenue de ce Conseil européen sur les sujets de défense et de sécurité était déjà un bon point : cela faisait 5 ans que les chefs d’Etat et de gouvernement ne consacraient aucune de leurs discussions à la défense ! Ils ont d’ailleurs fait quelques propositions utiles et porteuses d’avenir : adoption d’une stratégie maritime, programme commun sur les drones et les avions de ravitaillement en vol, révision de la stratégie de sécurité, renforcement de la base industrielle de la défense. Mais rien de décisif toutefois. En décembre 2013, comme avant, et sans doute comme au lendemain de ces élections européennes, la priorité des chefs d’Etat et de gouvernement n’est pas la consolidation de l’Europe comme acteur stratégique. Leur priorité reste la restauration de la prospérité à l’intérieur de l’Union, plutôt que l’exportation de la sécurité à l’extérieur. La crise ukrainienne ne changera guère d’ailleurs cette donne politique. La plupart des Européens voient dans l’OTAN le cadre optimal pour calmer les ambitions russes et gérer la sécurité du continent européen. Personne ne considère que la défense européenne a un rôle à jouer pour dissuader l’aventurisme militaire russe. Toutefois, les choses ne sont pas si simples : l’OTAN est en théorie consolidée par la menace russe, mais elle est surtout interdite d’action sur le moindre petit bout de territoire de l’ex Union soviétique. En 2008 déjà, lors de la guerre russo-géorgienne, les Russes avaient fait de l’activation de l’OTAN un casus belli. Quant à l’Union, son paradoxe est inverse : elle n’a certes pas les moyens ni l’ambition politique de contrer l’aventurisme russe, mais en théorie, elle devrait sérieusement y réfléchir, ne serait-ce que parce que les Etats-Unis de 2014 ne sont plus forcément disponibles pour tout et partout.
Quel bilan peut-on faire en matière de progrès de défense européenne après la réintégration de la France dans l’OTAN ?
A l’origine, la décision française de revenir dans la structure militaire intégrée de l’OTAN devait être compatible, voire être la condition d’une nouvelle impulsion donnée à la défense européenne. Tel était en tout cas le raisonnement du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Il n’était d’ailleurs pas absurde de penser que si nos alliés étaient rassurés sur notre politique à l’égard de l’OTAN, ils nous soupçonneraient moins d’arrière-pensées anti-américaines et donc nous suivraient plus dans notre revendication d’une Europe de la défense puissante et efficace. Toutefois, la pratique fut différente. La France mit toute son énergie – diplomatique, militaire, opérationnelle – dans la négociation avec l’OTAN (elle obtint d’ailleurs un grand commandement) et oublia finalement de relancer la défense européenne. Elle en vint même parfois à penser que ce dossier, complexe, irritant parfois, n’était pas forcément prioritaire et qu’un approfondissement de la coopération militaire bilatérale franco-britannique, symbolisée par les accords de Hampton Court, pourrait tenir lieu de défense européenne. Couplé à la crise économique, aux déficits des finances publiques, cette atonie française fut sans aucun doute l’un des facteurs de pause, voire de reflux de la défense européenne. Sitôt élu en 2012, le gouvernement de François Hollande a souhaité relancer la PSDC, comme en témoigne le Livre blanc adopté en 2013. Mais cette relance n’en est pas pour autant devenue effective : le volontarisme d’un seul pays, fût-il un grand pays militaire comme la France ne suffit pas.
L’Europe stratégique est-elle un objectif commun aux membres de l’Union européenne ?
Il y a au moins un pays qui ne souhaite pas, officiellement, que l’Union européenne devienne un acteur stratégique autonome : c’est le Royaume Uni. Ils le disent, le répètent, il faut donc le prendre en compte. Londres est preneur d’une Europe militaire forte qui agit dans le cadre de l’OTAN, pas d’une Europe dont l’ambition serait d’avoir une influence politique propre sur les crises régionales et internationales. Les autres pays européens sont plus ambivalents. Certains partagent cette priorité donnée à l’OTAN comme organisation de défense et de sécurité : les pays Baltes, la Suède, la République tchèque. L’immense majorité toutefois, la Pologne, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la France, la Belgique, considèrent que l’on peut conjuguer cette fidélité atlantique avec un projet plus ou moins fort en matière de défense européenne. Même les Etats-Unis ont perdu leur hostilité à l’égard de ce projet : ce sont eux aujourd’hui qui poussent les Européens à s’organiser davantage pour gérer les crises à leur périphérie, en Afrique notamment, et partout où ils ne veulent plus être les gendarmes du monde ! C’est cette évolution américaine, beaucoup plus que les différences d’objectifs politiques entre Européens, qui sera je crois déterminante : plus de crises, moins d’Amérique = par définition plus d’Europe.