L'édito de Pascal Boniface

« Paris 2024, un défi français » – 3 questions à Vincent Roger

Édito
4 juillet 2022
Le point de vue de Pascal Boniface
Vincent Roger est l’ancien délégué spécial aux Jeux de la région Île-de-France (2017-2021). Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Paris 2024, un défi français », aux éditions de l’Archipel (préface de Jean-François Lamour).

Comment expliquer la victoire pour obtenir les JO de 2024 après 3 défaites (1992, 2008 et 2012) ?

Tel un coureur du marathon, la France fut endurante. Pour 1992 avec l’excellente candidature d’Albertville aux Jeux d’hiver, il était impossible d’obtenir les Jeux d’été en même temps. Pour mémoire, la dernière fois qu’un pays organisa les Jeux d’été et d’hiver la même année, c’était en Allemagne en 1936. Par la suite, le CIO n’attribua jamais à une seule nation les deux événements. Après 1992, il fut d’ailleurs décidé de ne pas les organiser la même année.

Pour 2008, le dossier de Paris était solide mais, après Athènes 2004, le continent européen ne pouvait accueillir à nouveau cette fête planétaire. Pékin l’emporta largement face à tous ses concurrents.

Concernant 2012, nous avions un très bon dossier de candidature. La défaite face à Londres à Singapour, en juillet 2005, fut une gifle (54 voix pour les Anglais contre 50 pour Paris). Elle fut le fruit d’une succession de naïveté et de suffisance.

De cet échec nous avons su tirer les leçons. La France a obtenu les Jeux pour plusieurs raisons. D’abord, il aurait été inélégant de la part du mouvement olympique de ne pas permettre à la terre de Coubertin de fêter le centenaire des Jeux de Paris 1924. Après Rio et Tokyo, il était aussi logique que cela soit le tour de l’Europe. Et surtout, l’excellence du dossier fut décisive : compacité des sites, héritage, développement de la Seine-Saint-Denis… Au risque d’apparaître cocorico, Paris avait un temps d’avance sur Los Angeles notamment en matière de transports. Les Américains, peu altruistes en matière de négociation, l’avaient bien compris. C’est pourquoi ils acceptèrent un accord leur attribuant les Jeux en 2028. Enfin, à Lima lors du vote du CIO, le 13 septembre 2017, nous fîmes l’inverse qu’à Singapour. Les politiques et les sportifs étaient en osmose. La France se présenta unie. Cela avait de la gueule. C’est l’esprit de Lima. Avec la crise sanitaire et les élections successives il s’est estompé. Dans mon livre, j’explique qu’il est urgent de le ranimer. Il en va de la réussite des Jeux.

N’y-a-t-il pas un risque de gaspillage d’argent public au moment où celui-ci se fait rare ?

Répandre l’idée, comme certains s’y adonnent, que les Jeux seraient un tonneau des danaïdes de l’argent public est une fake news. L’objectif premier de tous les acteurs est d’organiser des Jeux sobres. Tony Estanguet a parlé de Jeux frugaux. Quant au CIO, il a besoin d’une nouvelle vitrine pour susciter les candidatures des villes mondes sensibles au jugement de leurs opinions publiques concernant le financement.

Lorsque l’on additionne les budgets de la Solidéo – établissement public en charge des 63 chantiers des Jeux – et du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP), l’argent public représente 25% des sommes engagées. A peine 3% pour le budget du COJOP. Ce n’est pas neutre mais ce n’est point titanesque. Un protocole financier a été signé en 2018 par l’ensemble des acteurs. Depuis chacun en respecte l’esprit. Il fallut bien sûr l’adapter. Le dossier de candidature était calculé en Euros 2016, l’an dernier il fut nécessaire de prendre en compte l’indexation. Comme aujourd’hui, il est impératif de tenir compte de l’inflation et de l’augmentation des matières premières. Certes, il y aura, sans doute, ici ou là des dépassements mais rien d’astronomique car le projet de Paris 2024 est évolutif. Il s’adapte en permanence. Fin 2020, le COJOP adopta une première révision budgétaire avec 200 millions d’économies. Cette année, il s’apprête à refaire le même exercice. Enfin, chaque denier public investi concerne l’héritage des Jeux. A la différence d’Athènes ou de Rio, il n’y aura aucun éléphant blanc. Tous les ouvrages réalisés sont prévus dans une logique post jeux pour être au service des populations. Tout cela s’effectue dans une grande transparence. Et c’est heureux. Le COJOP et la Solideo sont soumis à de nombreux contrôles : CIO, membres de leurs conseils d’administration, Cour des Comptes, Agence Française Anti-corruption, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour leur top management sans oublier les comités d’audit.

Vous évoquez une condescendance française à l’égard du sport…

Dans une partie de l’intelligentsia française réside un mépris du sport. Ce dernier est au mieux considéré comme un gentil loisir mais jamais comme un levier des politiques publiques. Le premier enjeu des Jeux, c’est de changer le regard du sport dans notre société. Il y a une tradition chez certains de dénier à l’amateur de sport, ce que l’on reconnait à d’autres. Si vous êtes un fervent spectateur de basket-ball on ironise sur votre peu d’empressement à aller courir sur un parquet. Est-ce que l’on demande à un  amateur d’opéra de chanter ? Evidemment que non !

Le rendez-vous de 2024 doit être l’occasion de faire du sport l’égal de la culture. Il en est d’ailleurs une ardente expression. Comme la culture, le sport crée des émotions, véhicule des valeurs et est source de création. Cette révolution culturelle est la condition sine qua non pour construire une nation sportive voulue par le Président de la République. Elle devra se bâtir autour de trois piliers fondamentaux : l’éducation, la santé publique et l’intégration républicaine.

Faire de la France une nation sportive est le premier défi des Jeux. Le deuxième sera de rassembler les Français. Les élections récentes ont montré un pays fracturé. Plus que jamais, nous avons besoin de projets collectifs. Les Jeux en constituent un immense. Chaque Français doit se sentir associé. Le troisième défi sera d’envoyer un message au monde. Nous ne pouvons nous contenter d’adresser que des images iconiques d’une France musée. Cette fête planétaire est une occasion unique pour mettre en lumière une France de plain-pied dans le XXIe siècle. L’addition de ces défis fait de Paris 2024 un rendez-vous historique pour la France. Saurons-nous collectivement l’honorer ? Les Jeux nous invitent tous à relever ce beau et grand défi français !

 
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