L'édito de Pascal Boniface

De plus en plus d’Etats dans le monde, un dangereux émiettement

Édito
15 mai 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
Les guerres contemporaines résultent non plus de l’unification d’Etats, mais de leur démantèlement. Le sécessionnisme est devenu la menace la plus sérieuse contre la paix, car les sécessions ou partitions (à l’exception du cas tchécoslovaque) ne se font jamais pacifiquement, mais au contraire donnent lieu à des affrontements plus féroces.
La motivation principale des sécessions n’est pas, la plupart du temps, la défense d’une identité menacée, mais plutôt la volonté de se séparer des "autres" et de profiter seul des richesses du pays, jusqu’alors "indûment partagées". Dans la plupart des cas, les racines des aspirations sécessionnistes ne résidaient pas dans le désir effréné de liberté, mais plutôt dans la conviction que la prospérité serait plus facile à retrouver au sein d’une petite entité que perdue dans l’immensité d’un ensemble plus vaste.
 
Soit la majorité cherche à se débarrasser d’une minorité jugée improductive, soit la minorité prospère espère améliorer encore plus son sort en se séparant d’une majorité plus pauvre. Dans les deux cas, la solution passe par le "largage" des indésirables, dans l’espoir de mener une vie plus confortable, dans le cadre d’une dilution du sentiment de solidarité.
 
Le facteur désintégrateur qui agit sur les individus (les riches sont de moins en moins solidaires des pauvres) concerne également les peuples. Pas toujours mais bien souvent, le nationalisme et la proximité culturelle ne sont utilisés que pour mieux masquer l’intérêt économique à court terme.
 
Les dangers que représente la prolifération étatique sont clairs. Ils résultent à la fois des conditions dans lesquelles se fait cette prolifération et de ses effets. Cela peut en outre déboucher sur la création d’Etats artificiels ou non viables, constituant autant de zones grises propices à la déstabilisation.
 
Le refus ou l’impossibilité de continuer à vivre avec les autres conduit assez souvent, que ce soit pour des raisons ethniques ou pour des motifs économiques, à un affrontement. Les justifications invoquées, par leur caractère artificiel ou du moins peu fondé sur le seul plan des droits collectifs d’un peuple, peuvent souvent conduire à des stratégies de légitimation exacerbées qui font resurgir un problème national plus ou moins résolu, ou qui le créent de façon artificielle.
 
La réponse adéquate au danger de prolifération étatique ne sera jamais la répression armée, mais la reconnaissance des droits des minorités lorsqu’il s’agit d’un problème national, ou le renforcement du sentiment de solidarité lorsqu’il s’agit d’une motivation économique.
 
Laissé à sa logique extrême, le mouvement de sécession conduit à un émiettement du monde qui risque de rendre sa gestion encore plus difficile qu’elle ne l’est actuellement.
 
Alors que, au cours de l’histoire, les guerres ont été avant tout des guerres de conquête, les sécessions – sous leurs diverses formes, quelles que soient leurs motivations réelles ou inavouées, qu’elles réussissent ou qu’elles échouent – ont désormais toutes les chances de constituer la principale source de conflits.
 
Il existe déjà plusieurs dizaines d’Etats qui sont incapables de subvenir à leurs besoins, qui vivent de la mendicité internationale, ou qui sont trop faibles pour ne pas devenir la proie des mafias.
 
Un monde fait de milliers d’entités souveraines ou prétendues telles serait un monde où la souveraineté ne pourrait pas réellement s’exercer. Trop de souverainetés tuerait la souveraineté et déboucherait sur une planète où les forces occultes et les plus radicales occuperaient une grande partie des pouvoirs.
Tous les éditos