L'édito de Pascal Boniface

À propos de « De notre correspondant à Jérusalem. Le journalisme comme identité » de Charles Enderlin

Édito
9 avril 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
Dans sa préface, Michel Wieviorka évoque le souci permanent de vérité qui anime Charles Enderlin. On ne peut que constater qu’il en a été victime. Une gigantesque campagne de désinformation a été menée contre lui à propos de l’affaire de Mohammed al-Dura. Résultat : Charles Enderlin doit en permanence continuer à se justifier, vingt ans après les faits, d’avoir simplement informé le public. Les faussaires, qui ont volontairement mené une campagne de communication haineuse contre lui, à base de désinformation et de calomnies, s’en sortent sans aucune égratignure.

Cette affaire en dit long sur le climat violent que peuvent susciter en France les débats sur le conflit israélo-palestinien. Elle montre également que les mensonges les plus éhontés peuvent être défendus par des intellectuels et des journalistes réputés de haut niveau sans pour autant qu’elle ne les conduise à la marginalisation médiatique. Ce sont au contraire ceux qui rapportaient les faits exacts qui sont mis au ban du monde médiatique.

Charles Enderlin, franco-israélien, a commencé à faire des piges pour France 2 avant d’être embauché comme correspondant. La question s’était posée pour certains de savoir si un journaliste ayant la nationalité israélienne pouvait couvrir de façon objective les éléments dramatiques et passionnels qui s’y déroulaient.

Il a prouvé qu’au-delà de ses identités française et israélienne, il était avant tout un journaliste soucieux de vérité et d’intégrité. Il a eu le malheur d’être celui qui a fait un reportage sur la mort, face aux caméras, du petit Mohammed al-Dura. C’était au tout début de la seconde intifada, peu après le 11 septembre. Israël pouvait perdre la bataille de la communication. Il fallait donc décrédibiliser par tous les moyens ceux qui pouvaient y contribuer, justement en faisant leur métier. L’enjeu était alors d’affirmer que la seconde intifada avait été préparée de longue date par les Palestiniens et par Arafat lui-même. Et que la mort du petit palestinien n’était qu’une mise en scène grossière pour mobiliser les opinions contre Israël.

Charles Enderlin a alors été considéré par certains Franco-Israéliens ou juifs français comme étant celui qui a porté le discrédit sur Israël, simplement par la diffusion d’images pourtant bien réelles. Ce n’était pas la première fois que les Palestiniens étaient victimes de tirs de militaires israéliens, mais les images ont fait le tour du monde, faisant de l’évènement un moment-clé de l’agenda géopolitique et médiatique. Dès le lendemain, une délégation de la communauté juive de Marseille, qui effectuait une visite de solidarité à Gilo, se met à crier « à mort Enderlin » en voyant des caméras de France 2. Peu après, sa femme est agressée en compagnie de ses enfants de cinq et huit ans à Jérusalem.

Par la suite, des journalistes chevronnés, comme Denis Jeambar ou Luc Rozenzweig, ne vont avoir de cesse de faire courir la nouvelle selon laquelle la mort le petit Mohammed al-Dura était une mise en scène et qu’il n’avait pas été tué, mais vivait caché ou qu’il avait été tué par des Palestiniens. Pierre-André Taguieff, qui revient aujourd’hui sur le devant de la scène médiatique pour dénoncer « l’islamogauchisme », fait une comparaison entre le reportage de Charles Enderlin et l’accusation moyenâgeuse de « meurtre rituel ». Alain Finkelkraut participe à cette campagne. Avec une élégance qu’il faut signaler, Luc Rosenzweig évoque dans un mail l’odeur persistante de sapin, et lui annonce sa mort, au moins professionnelle.

Charles Enderlin, dont une grande partie de la famille a disparu dans les camps de la mort nazis, est accusé d’antisémitisme. Quelques extrémistes ont créé un « prix Goebbels » pour lui remettre devant les locaux de France Télévisions. L’affaire a créé des remous à France Télévisions et il faut souligner le rôle digne d’Arlette Chabot, alors directrice de l’information, qui a avec courage et constance défendu son journaliste.

Les extrémistes ont-ils gagné ? Ils n’ont rien perdu, n’ont jamais eu à subir les conséquences de leurs mensonges. Ils ont fait d’Enderlin un exemple. Qui voudrait s’exposer et subir les agressions multiples et répétées que Charles Enderlin a dû endurer ? Un tel acharnement est extrêmement dissuasif. Ce que montre aussi le livre de Charles Enderlin c’est que la peur a gagné. Les rédactions sont de moins en moins désireuses de traiter du conflit israélo-palestinien pour ne va pas à subir de tels déferlements de haine. Enderlin est désormais détesté et diabolisé par de nombreux juifs français. Le pire c’est que sans doute certains sont de bonne foi dans leur haine et réagissent sur la base d’informations biaisées et manipulées.

Charles Enderlin a consacré de nombreux livres aux négociations, et à leurs ruptures, entre Palestiniens et Israéliens en ayant à chaque fois accès aux meilleures sources. Ses livres et documentaires témoignent pour l’histoire.

C’est tout à son honneur de vouloir inlassablement évoquer les faits et la réalité et de faire en conscience son travail de journaliste.
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