L'édito de Pascal Boniface

« Pour un Conseil mondial de la Résistance » – 3 questions à Monique Chemillier-Gendreau

Édito
7 juillet 2020
Le point de vue de Pascal Boniface


 

Agrégée de droit public et de science politique, Monique Chemillier Gendreau répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Pour un Conseil mondial de la Résistance ».

Vous appelez carrément à la suppression des Nations unies, cela risque de ravir Donald Trump !

Si d’aventure Donald Trump lisait mon texte attentivement (ce dont on le sait incapable… ), il n’aurait aucune raison d’être ravi. D’une part, je prends la précaution de dire que les Nations unies doivent rester en place jusqu’à ce que la communauté mondiale se soit dotée d’une organisation plus démocratique, plus efficace et correspondant au sentiment partagé d’appartenir à une communauté politique mondiale. D’autre part, l’Organisation mondiale des Peuples que je propose comme substitut à l’ONU, que je considère comme défaillante, va à rebours de toutes ses positions. Elle engage à nouveaux frais les différentes communautés nationales et tous les peuples (y compris ceux qui sont aujourd’hui sans État) dans la voie d’un multilatéralisme rénové. C’est précisément ce que Donald Trump rejette.  Et il le rejette dans les différentes facettes du multilatéralisme qui sont esquissées dans ce texte.

Pour ma part, je soutiens que les grandes conventions internationales, qui correspondent à la meilleure partie de l’apport des Nations Unies, ne sont pas véritablement universelles et souffrent de n’être obligatoires que pour les États les ayant ratifiées. Et même pour ceux-là, d’une part, ils peuvent s’en retirer – comme les USA l’ont fait à plusieurs reprises sous la présidence de Trump – d’autre part, leur engagement peut être purement formel dans la mesure où il n’y a pas de mécanisme rendant obligatoire l’application des textes ainsi formulés. Et dans le projet novateur que j’offre à la discussion, il est question que l’humanité se dote, avec ces grandes conventions et notamment celles concernant les droits de l’homme, d’un ensemble constituant son droit commun. Partager un droit universel pour l’ensemble d’un groupe est la condition de base pour former une communauté politique.

Le deuxième élément d’un multilatéralisme rénové est un mécanisme de sécurité collective efficace. Il ne peut pas l’être tant que nous avons la prééminence des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et de leur droit de veto. Cette prééminence va jusqu’au contrôle de toute réforme des Nations Unies. C’est pourquoi nous devons penser le futur, non à partir de cette organisation (laquelle est figée), mais sur des bases nouvelles. La future organisation devra être composée de tous les peuples mis sur un pied d’égalité entre eux. Et il faudra reprendre ce qui était positif dans la Charte, notamment l’interdiction du recours à la force et le mécanisme de la sécurité collective. Mais le nouveau Conseil de sécurité, composé d’une vingtaine de membres non permanents, devra être doté d’une force véritablement internationale. Et ce renouveau de l’interdiction du recours à la force devra s’accompagner d’un véritable désarmement, avec une réduction contrôlée des armes nécessaires aux communautés pour les cas limités de légitime défense.

Enfin, la conception de la paix dans la nouvelle organisation ne devra plus être limitée à l’absence de guerre, mais tournée vers l’organisation d’une société juste et bonne. Cela veut dire que la solidarité entre les peuples devra prendre des formes diversifiées à travers des organes adaptés. Les Nations Unies se sont beaucoup limitées à ce que l’on appelle l’humanitaire (que l’on pourrait désigner ironiquement comme le service après-vente des marchands d’armes). La nouvelle organisation devra dépasser ce rôle. La pandémie du Covid-19 a mis en lumière les interdépendances économiques du monde, y compris dans des secteurs vitaux. Cela doit être repensé en commun.

Il n’y a rien dans tout cela qui puisse convenir à Donald Trump.

Comment concrètement mettre en place l’organisation mondiale des peuples dont vous appelez à la création ?

La phase préalable et indispensable est d’abord celle de la circulation de l’idée. Actuellement, il y a comme un vide de la pensée sur cette question. Personne n’ignore que les Nations Unies ne sont plus en mesure d’assurer la sécurité du monde. Cela a été criant pendant la pandémie. Mais cela est vrai en Syrie, en Palestine et aujourd’hui en Libye. Mais nul ne s’aventure à penser l’après. Je propose d’ouvrir les esprits à cette pensée. Il faut que le projet que j’ai esquissé circule et soit débattu dans différentes sphères. Ensuite, nous verrons bien. Le mieux serait que les grandes ONG de droits de l’homme, celles qui ont contribué de manière efficace à la création de la Cour Pénale internationale, s’emparent de ce projet jusqu’au moment où se tiendra une Constituante des peuples. L’histoire est pleine de surgissements inattendus. On s’aperçoit ensuite que les choses avaient muri souterrainement. C’est à nous de préparer cette maturation.

Ne risque-t-on pas, après la crise du Covid-19, de reprendre les choses comme avant ?

Il va de soi que c’est un risque majeur. Alors, nous continuerons de marcher vers la catastrophe, qu’elle soit sanitaire, militaire, environnementale ou nucléaire. Nous n’avons que le choix des périls qui nous menacent. La société mondiale est un bateau ivre, sans gouvernail. C’était le cas lorsque le monde était gouverné par le rapport de forces entre États souverains, doublés d’empires coloniaux et cela a donné la Première guerre mondiale. On a cru y remédier en créant la Société des Nations. Mais, le mécanisme était faible et le multilatéralisme insuffisant. Alors il a été impossible d’empêcher la Seconde guerre mondiale. On en a tiré certains enseignements, avec les Nations Unies, mais sans aller jusqu’au bout de l’idée d’une véritable communauté politique. La souveraineté a été plus forte que la solidarité. Et nous sommes retombés dans le rapport de forces comme on le voit entre des États comme la Russie, la Turquie, les États-Unis, et ceux d’Europe, qui rivalisent dans la gestion des conflits que ce soit au Proche ou au Moyen-Orient ou en Libye. Laisserons-nous le cours des choses aller jusqu’à un embrasement ? Et devons-nous attendre d’être devant les ruines d’un conflit généralisé, ou de catastrophes environnementales que nous n’imaginons pas encore, pour penser  sur de nouvelles bases l’organisation de notre humanité ?
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