L'édito de Pascal Boniface

Kosovo : une guerre juste pour créer un Etat mafieux

Édito
24 juin 2013
Le point de vue de Pascal Boniface

Pierre Péan vient de publier « Kosovo : une guerre juste pour créer un Etat mafieux » (Fayard), une enquête qui donne un droit de suite sur la situation du Kosovo – depuis la première guerre de l’OTAN -, aujourd’hui au centre des trafics dans les Balkans et qui démontre la terrible duplicité de la communauté internationale quant à ces problématiques. Pierre Péan répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
 


Votre livre dénonce le nettoyage ethnique réalisé par l’UCK au Kosovo après la guerre de 1999 sans que l’OTAN ne réagisse. Comment expliquer cette situation alors que la guerre avait été faite au nom du refus du nettoyage ethnique ?

Si la guerre du Kosovo a été illégale, faute d’une approbation du Conseil de sécurité, l’après-guerre aurait dû être légale puisque gérée par la résolution 1244. Laquelle affirmait l’attachement des Etats membres de l’ONU à « la souveraineté et à l’intégralité territoriale » de la Serbie dont le Kosovo était une province. Les militaires de la KFOR, et les civils de la MINUK devaient « s’employer à prévenir la reprise des hostilités », « démilitariser l’ALK(UCK) », « établir un environnement sûr pour le retour des réfugiés et personnes déplacées », « assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publics ». Las, ces recommandations sont restées lettres mortes pour la plupart des intervenants sur le terrain ! Les militaires français que j’ai rencontrés m’ont confirmé qu’eux avaient bien reçu des instructions strictes de ne pas prendre parti « entre les deux ethnies », albanaise et serbe, mais ils ont pu constater qu’ils étaient bien seuls à vouloir appliquer stricto sensu la 1244. Les militaires anglo-saxons prenaient en revanche clairement parti pour les rebelles de l’UCK et protégeaient les seules populations albano-kosovares. Et les civils de la MINUK montraient leur inclination pour les vainqueurs. Les militaires français ne découvriront que bien plus tard qu’ils avaient été souvent confrontés à des membres de l’UCK qui, pour certains d’entre eux, avaient été formés et peut-être armés par la DGSE ! Concrètement, toutes les duplicités et les ambiguïtés de cette guerre, faite au nom des valeurs pour promouvoir un Kosovo multi-ethnique, ont abouti à des résultats inverses aux objectifs annoncés dans des médias quasi-unanimes à soutenir cette guerre. Après les accords de Kumanovo du 9 juin 1999, un véritable nettoyage ethnique a été mené contre les Serbes, les Roms et autres minorités ethniques par les membres de l’UCK, dans les semaines qui ont suivi, sous l’œil indifférent de ceux qui étaient censés « assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publics ». « Travail » qui a été complété en mars 2004. Cette politique menée par ceux qui étaient encore qualifiés de « terroristes » au début 1998 a été évidemment accompagnée de nombreux assassinats, tortures, vols, destructions de biens… 
 


Pire encore, vous dénoncez l’organisation d’un trafic d’organes. N’est-ce pas toucher le comble de l’horreur ?

Ce trafic d’organes est effectivement le comble de l’horreur. C’est pour cela que je m’en suis servi comme fil rouge de mon livre. A la fois pour souligner que le nouveau pouvoir du Kosovo est largement calqué sur des structures mafieuses et que ces politiques mafieux – en tout cas certains d’entre eux – n’ont pas hésité à sortir du champ d’action habituel du crime organisé. Et que les protecteurs des nouvelles « élites » kosovares avaient préféré fermer les yeux sur leurs pratiques. Je montre que ces horribles trafics sont connus au moins depuis mars 2003 et que tout a été fait pour qu’ils ne fassent pas l’objet d’enquêtes judiciaires. Il aura fallu attendre le livre de Carla del Ponte, intitulé La Traque (2009), puis l’enquête de Dick Marty pour le Conseil de l’Europe (décembre 2010) pour sortir cette affaire de l’oubli organisé. 
 


Comment votre livre est-il accueilli par la presse, sachant le soutien global des médias à la guerre du Kosovo ?

Je mets tellement en cause l’attitude de la majorité des clercs – journalistes, intellectuels et (nouveaux) philosophes – dans la préparation puis dans le soutien de cette guerre que je n’ai pas été surpris par leur silence. Pour parler – en bien ou en mal – de mon livre, ils devraient soit faire leur mea culpa soit justifier a posteriori leurs engagements. Une entreprise délicate dans les deux cas.
Ayant une tendance à plutôt regarder les bouteilles à moitié pleines qu’à moitié vides, je craignais que le silence d’accueil de mon livre soit plus assourdissant. Quelques grands médias ont en effet relaté cette enquête à contre-doxa…

Tous les éditos