L'édito de Pascal Boniface

Guerre en Ukraine et guerre des débats

Édito
7 février 2023
Le point de vue de Pascal Boniface


 

La guerre en Ukraine suscite également une guerre des débats. Ceux-ci font rage sur les plateaux de télévision, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Parmi les commentateurs, seule une très petite minorité exonère la Russie et ne la considère pas comme responsable de la guerre. Mais pour la très grande majorité, il n’y a aucun doute. C’est bien Moscou l’agresseur, c’est bien l’Ukraine qui est agressée.

Mais au-delà de ce constat purement factuel, il y a deux thèses qui s’affrontent sur le cheminement historique qui a conduit à la guerre. La thèse majoritaire dans les médias français, qui sur le plan diplomatique est celle de la Pologne et des pays baltes, revient à dire que ceux qui ont voulu négocier avec la Russie se sont trompés, ont fait preuve de naïveté, voire sont responsables, par leur faiblesse face à la Russie, d’avoir enhardie cette dernière. Les partisans d’un dialogue avec Moscou n’auraient fait que répéter les erreurs de Chamberlain et de Daladier face à Hitler. La politique d’apaisement aurait donc conduit une nouvelle fois à la guerre. « On vous l’avait bien dit » répètent en boucle les partisans de la ligne dure.

Par une curieuse interprétation, les faucons, qui ont le vent en poupe sur le terrain diplomatique et médiatique, confondent volontairement les partisans du dialogue avec la Russie avec ceux qui soutiennent la guerre déclenchée par Moscou. C’est intellectuellement malhonnête.

Les partisans du dialogue sont sur la défensive. Il y a bien eu de la part de Moscou non seulement la violation du recours à la force dans les relations internationales, mais elle s’est de surcroît accompagnée d’une multiplication de crimes de guerre qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité.

Pourtant, ils pourraient faire valoir les arguments et avertissements sur les dangers que représente l’extension de l’OTAN qui avaient été soulignés dès 1991 par François Mitterrand. Ils ont été repris par George Kennan, Henry Kissinger, Thomas Friedman ou John Mearsheimer qui peuvent difficilement passer pour être antiaméricains. Gorbatchev, qui, lui non plus, ne saurait être présenté comme violemment anti-occidental, a plusieurs fois répété qu’il s’était senti trahi par les Occidentaux sur ce point. Nicolas Sarkozy, à peine élu, qui se faisait alors surnommer « Sarko l’Américain », s’était opposé à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN en 2008. Bref, les Cassandre n’ont pas été entendues. Peut-on dire pour autant qu’ils avaient tort ? La guerre que la Russie a lancée contre l’Ukraine est inadmissible. Les crimes de guerre également. Il faut les condamner. Il faut aider l’Ukraine à résister en lui fournissant des armes. Cela ne doit pas empêcher de réfléchir aux erreurs qui ont été commises.

La guerre aurait pu être évitée si on avait réellement traité la Russie comme un partenaire et non comme un pays vaincu de la guerre froide. Et ce sont bien les partisans de la ligne dure qui s’y sont opposés. Ils se sont comportés comme des pompiers pyromanes, voyant la possibilité d’une victoire militaires grâce à l’aide occidentale de plus en plus fournie et qui établit un rapport de force disproportionné. Certains responsables des pays de l’Est parlent de démanteler la Russie, ou de la réduire à un pays de moins de 50 millions d’habitants pour être certain d’avoir un continent européen vivant enfin en paix. Ils ne font que conforter le discours de Vladimir Poutine face à un Occident qui aurait juré la perte de la Russie.
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