L'édito de Pascal Boniface

Les limites de l’exercice du livre blanc sur la défense

Édito
1 août 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
Le gouvernement a mis en place une commission à fin d’élaborer un livre blanc sur la défense.
L’exercice est prestigieux. Il bénéficie de l’aura dont est encore entouré le livre blanc de 1972, élaboré sous la houlette de Michel Debré, alors ministre de la Défense. Ce document est venu formuler le concept de dissuasion français jusqu’ici développé de façon empirique. Il s’agissait également, après la disparition du général De Gaulle, de graver dans le marbre ce concept.
Ce livre blanc a eu un tel impact intellectuel et stratégique qu’il n’a pas eu de suite pendant très longtemps. François Mitterrand a de nombreuses fois disserté sur le concept de dissuasion mais sans reprendre l’exercice du livre blanc.
Celui qui va être rédigé sera en fait être le quatrième du genre.
Le deuxième avait été lancé par Édouard Balladur alors Premier ministre en 1994. Il s’agissait en fait pour ce dernier d’intervenir dans des domaines régaliens, en voulant à la fois défier le président en titre, François Mitterrand, et surtout prendre ses marques vis-à-vis de Jacques Chirac considéré à l’époque comme le candidat naturel de la droite. En se lançant dans cet exercice Édouard Balladur dévoilait son intention de se porter candidat aux élections présidentielles de 1995. Le livre blanc était autant, voire plus un instrument de lutte de politique intérieure qu’un document sur la défense de la France
Le troisième a été lancé par Nicolas Sarkozy après son élection en 2007. Une commission avait également été mise en place. Mais il s’agissait plus d’habiller les contraintes budgétaires qui allaient peser sur la défense, que de se livrer à une véritable réflexion stratégique.
Qu’en sera-t-il pour cette commission ? Il est certain que depuis le dernier véritable outil théorique de 1972, le monde a bien changé. Les élections présidentielles de 2012, pas plus que celle de 2007, n’ont été l’occasion d’un débat de fond sur les évolutions stratégiques mondiales et la place et le rôle que la France peut y jouer. Le livre blanc va-t-il combler cette lacune ? Cela n’est pas certain.
Sur le plan stratégique, pour ce qui touche aux relations avec les États-Unis, l’OTAN et la défense européenne, ses conclusions seront largement préemptées par le rapport devra que remettre Hubert Védrine avant la fin octobre. Le délai de remise du travail du livre blanc peut conduire à des réflexions intéressantes sur le sujet mais ne permettra pas de procéder à un véritable remise à plat de la réflexion sur les évolutions stratégiques mondiales et le rôle que la France peut ou non continuer à jouer dans cet environnement mouvant. Il est un peu trop court.
L’autre contrainte sera budgétaire. Le chevauchement entre la loi de programmation militaire future et le livre blanc empêche de fait une réflexion stratégique globale. Celle-ci devra s’insérer dans les limites budgétaires.
La composition de la commission est largement officielle, tous les grands ministères y sont représentés, il n’y a qu’une petite poignée d’experts – à peine une demi-douzaine – il n’y a pas de spécialistes de la Chine, ou des pays émergents.
Il y a par contre, de façon surprenante, la présence de deux experts, François Heisbourg (cf. Les intellectuels faussaires) et Bruno Tertrais, qui avaient affirmé avant la guerre d’Irak de 2003, que Bagdad possédait des armes de destruction massive, légitimant ainsi la guerre à venir, et qui ont publié en 2007, chacun un livre plaidant pour des frappes sur l’Iran, selon eux sur le point de se doter de l’arme nucléaire.
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