L'édito de Pascal Boniface

« Or, argent et folies des grandeurs » – 3 questions à Alessandro Giraudo

Édito
27 février 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
Alessandro Giraudo est Chief Economist du groupe international Tradition. Enseignant à l’ISG-Paris, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Or, argent et folies des grandeurs », aux Éditions Economica.

Comment expliquer que l’or et l’argent influencent la vie des hommes depuis plus de 8000 ans ?

Les deux métaux sont rares et résistent à l’usure du temps, en particulier l’or. C’est surtout ce dernier, produit par les supernovas, qui, par ses qualités, alimente et exacerbe l’imaginaire des hommes. Pour les Égyptiens, le métal jaune était la chair du dieu Râ et, pour les Incas, il représentait les larmes du soleil. Des civilisations très différentes, dans des lieux géographiques très éloignés, sans la possibilité de communiquer et dans des époques diverses, ont toujours choisi les mêmes métaux et leur ont attribué une grande valeur. Les textes religieux dans le monde entier et presque toutes les images de la mythologie de plusieurs pays parlent systématiquement de ces métaux précieux. Les temples, les églises et les centres du culte religieux contiennent est exposent de l’or et de l’argent. Les hommes ont toujours été à la recherche d’Ophir et de Tharsis, les villes mythiques où furent trouvé l’or et l’argent. Les mythes de l’Eldorado, de la Ville de l’Or, de Quivira, de Cibola, de la Sierra de la Plata et de l’Île de l’Or dans l’océan Pacifique peuplent l’imaginaire et les rêves des hommes. Ils attirent des expéditions, qui sont rarement fructueuses et souvent dangereuses. Des milliers d’esclaves meurent de soif dans les mines nubiennes, d’autres sont sacrifiés dans les mines d’argent du Laurion pour financer le siècle d’or d’Athènes : les damnata ad metalla meurent dans les mines romaines ; beaucoup d’esclaves sont engloutis dans les mines des califats ; les mitayos andins et les esclaves africains tombent comme des mouches dans les mines à Potosí et à Huancavelica (le mercure utilisé pour extraire l’argent). Les bandierantes et les garimpeiros au Brésil, les prisonniers politiques et ordinaires en Sibérie, les Johnny newcomers en Californie, les coolies chinois et les mineurs noirs en Afrique du Sud ont des vies très courtes.

Les métaux jaune et blanc ont toujours financé les pouvoirs et les guerres, l’imaginaire et les caprices des hommes, les rançons, le commerce et les échanges de biens. Ils ont acheté le pardon du ciel et les caresses envoutantes des femmes de petite vertu. Un vieux proverbe persan affirme que l’or est la monnaie des rois, l’argent celle des marchands et la dette est la monnaie des pauvres ! Et le paradoxe de l’or, surtout, est d’être extrait dans les entrailles de la terra pour y retourner sous forme de lingot dans les coffres des banques centrales et dans les caveaux de Paradeplatz et de Banhofstrasse à Zurich !

La découverte de gisements est-elle une bénédiction ou une malédiction ?

Dans les premiers instants, la découverte de gisements représente la manne qui tombe du ciel et participe au développement du pays ou, tout seulement, en retarde la décadence, comme dans le cas du Portugal avec la découverte de l’or brésilien. Mais, ensuite, très souvent, ces découvertes se transforment en un cas classique de « malédiction des matières premières ». Il s’agit d’une condition qui tue à feu doux le futur d’un pays dont les dirigeants s’habituent à la dépense facile. Quand les ressources viennent à manquer, la chute est fracassante, comme dans le cas des pays pétroliers (2015-2016). Le cas le plus dramatique est illustré par l’Espagne qui a découvert l’argent américain au cours du XVIème siècle. Grands d’Espagne et hidalgos n’investissent plus dans des projets productifs et créateurs, mais placent leurs richesses dans les « juros », les bons du trésor que le roi s’engage devant Dieu à rembourser. En 90 ans, le trésor espagnol déclare six banqueroutes et le pays, ne produisant presque plus rien, doit importer beaucoup de biens. Il entre alors dans une décadence dorée mais inexorable.

L’or a-t-il favorisé toutes les folies humaines ?

L’or et l’argent ont financé beaucoup de folies des rois, des princes, des religieux… Les deux métaux ont contribué à la splendeur de Babylone (mines d’argent de la Mésopotamie), des Pyramides et des grands temples égyptiens (mines d’or nubiennes), du Parthénon (argent du Laurion), du Colisée (butin rapporté de Jérusalem par Vespasien), d’une partie de la muraille chinoise et du grand canal Beijing-Hangzhou (or et argent du Yunnan), des merveilles de Byzance (Sainte Sophie aurait couté 5 tonnes d’or et 11 tonnes d’argent), de l’essor de Bagdad de l’an mille (encore les mines iraniennes et afghanes de Benjahir). Et il ne faut pas oublier les cathédrales médiévales et les églises de l’Europe de la renaissance et de l’époque baroque (le fameux Gottes Geld), de la cité interdite de Beijing, du Taj Mahal (coût de 32 millions de roupies), des palais et des résidences des princes et des rois en Europe et dans le reste du monde.

Mais l’or et l’argent ont aussi financé les guerres. On peut citer l’expansionnisme égyptien des XVIIIème et XIXème dynasties (encore l’or nubien), les guerres d’Athènes (mines du Laurion) et du Péloponnèse partiellement financées par l’or et l’argent de l’Empire persan. Après avoir pillé le fabuleux trésor de Darius (190.000 talents de métaux précieux), Alexandre se lance à la conquête de l’Inde (et des mines d’or de Karnataka qui financent – plus tard – les Gupta et l’Empire Vijayanagara), les califats exploitent les mines espagnoles et les mines afghanes pour financer leur expansion. Les croisades et, ensuite, la guerre de Cent Ans sont financées par les mines d’argent du Devon et de l’Allemagne et par les banquiers italiens … Mais les rois (anglais et français) « oublient » de rembourser leurs dettes et le système bancaire des Lombards s’effondre vers 1340 ! La découverte de l’argent mexicain et péruvien finance les guerres de l’Empire espagnol, dirigées par deux « impresarios de la guerre », Charles V et son fils Philippe II. Les découvertes de l’or et de l’argent dans l’Empire russe arment les troupes des czars comme la découverte de l’or californien qui aide d’une façon importante la lutte des Nordistes contre les Sudistes. Les deux guerres des Boers sont aussi financées par l’or découvert en Afrique du Sud. Le Japon vend beaucoup d’or à la Réserve fédérale américaine entre mi-1937 et les mois précédant Pearl Harbour et Hitler peut prolonger la guerre grâce à l’or qu’il pille dans les pays conquis. Les SS organisent même les Devisenschutzkommandos, unités spéciales composées par des hommes travaillant dans le monde bancaire, capables de lire la comptabilité et de dénicher des métaux précieux à l’intérieur de la banque et chez les particuliers…
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