L'édito de Pascal Boniface

Le droit d’émigrer – Questions à Catherine Withol de Wenden

Édito
5 mai 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
Vous venez de publier Le droit d’émigrer aux éditions du CNRS. Dès la première page vous faites un parallèle entre la liberté de circulation des citoyens des pays riches et les limitations comparables à celles qui existaient dans le passé dans le bloc communiste aux plus démunis. Pourquoi ?
En effet, pendant longtemps, le droit de sortie était un privilège car les pays autoritaires (de gauche et de droite) ont tous interdit ou restreint le droit de sortie à quelques élites : diplomates, artistes, commerçants, chercheurs…Aujourd’hui, les citoyens des pays riches sont souvent dispensés de visas pour entrer ailleurs car ils ne représentent pas de « risque migratoire », de même que les riches des pays pauvres qui entrent dans les catégories requises pour l’obtention de visas (élites diplômées, investisseurs, commerçants et hommes d’affaires…). Les autres peinent à remplir les conditions requises pour l’accès au statut de travailleur salarié, de membre du regroupement familial, d’étudiant ou de réfugié. Ils prennent donc le chemin de la clandestinité.
 
 

Vous écrivez qu’auparavant le droit de sortie était limité par les États autoritaires et que c’est désormais le droit d’entrée qui l’est par les pays démocratiques. Il était au XIXe siècle plus facile d’entrer que de sortir du sien, c’est aujourd’hui l’inverse. Comment expliquez-vous cette tendance ?
En un siècle, on est passé de l’interdiction du droit de sortie et de la liberté du droit d’entrée à la généralisation du droit de sortie et à la restriction extrême du droit d’entrée. Cette situation pénalise considérablement les pays du Sud et transforme ceux-ci en pays de transit quand ils se trouvent aux portes des pays riches (Mexique, Maroc, Turquie…). La question va devenir d’autant plus brûlante que les pays du Sud accueillent aujourd’hui autant de migrants (110 millions) que les pays du Nord (115 millions). Parmi les signataires de la Convention des Nations Unies sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, ne figure aucun pays du Nord. Car ils craignent de devoir reconnaître des droits aux sans-papiers. Au sud, l’entrée est plus aisée, mais les droits sont peu reconnus. Le régime des frontières dépend donc de l’origine des migrants et de la direction qu’ils prennent : du nord au sud, il est facile de sortir et d’entrer, du sud au sud, c’est la même chose, comme du nord au nord alors que du sud au nord, on peut facilement sortir mais difficilement entrer quelque part. Les frontières sont alors ouvertes ou fermées, de l’intérieur ou de l’extérieur selon les trajectoires et les profils de migrants
 
 

Vous écrivez que la mobilisation pour le droit d’immigrer va prendre au XXIe siècle la même ampleur que la campagne pour l’abolition de l’esclavage. N’est-ce pas excessif ?
 L’interdiction ou la limitation du droit d’émigrer, c’est-à-dire le droit de sortie (presque partout acquis dans le monde sauf en Corée du Nord) et le droit d’entrée dans un autre pays que le sien ont donné lieu à des centaines de milliers de morts, de trafics frontaliers, d’exploitation des candidats au voyage (racket, prostitution, esclavage moderne dans des ateliers clandestins, mineurs non accompagnés…) qui heurtent tellement les droits de l’homme que leur non-respect fait scandale dans les pays démocratiques tout en concernant aujourd’hui le monde entier. C’est pourquoi, ils tiennent une place majeure dans les débats et confrontations du XXIème siècle et devraient figurer parmi les OMD de la planète. Mais la mobilisation transnationale sur ce thème est faible car elle concerne des acteurs très disparates tels que les employeurs, les militants des droits de l’Homme, les pays de départ, favorables à l’ouverture des frontières et les défenseurs de l’Etat providence, les nationalistes et l’extrême droite favorables à leur fermeture. Par ailleurs, les tentatives de gouvernance mondiale des migrations tardent à se mettre en place pour imposer aux Etats une éthique de conduite car la question a encore peu de légitimité sur la scène internationale : on n’en parle ni au G8 ni au G20. C’est l’actualité des scandales et les morts aux frontières qui poussent à porter cette question au plus haut niveau de la scène internationale.
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