L'édito de Pascal Boniface

Quelques questions à Michel Warschawski

Édito
13 décembre 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
Michel Warschawski, journaliste et militant pacifiste franco-israélien, vient de publier "Destins croisés. Israéliens et Palestiniens, l’histoire en partage." (Riveneuve Editions, 2012).


1. Il y aura bientôt des élections en Israël, est-ce que vous pensez que les choses sont déjà réglées ?


 


Michel Warschawski: Plus ou moins. On attend une victoire éclatante de la droite qui est au pouvoir, elle va revenir plus renforcée. Il y aura une petite remontée du parti travailliste parce qu’il est si bas qu’il ne peut plus descendre et surtout, l’éclatement de ce qui était le parti le plus important au parlement sortant, le parti centriste Kadima, qui n’existe plus aujourd’hui.


 


2. C’est plutôt un virage à droite et donc, par rapport à un accord de paix avec les Palestiniens, les nouvelles sont plutôt mauvaises.


 


MW : Oui. La reprise d’un processus négocié avec les Palestiniens n’est pas du tout à l’ordre du jour. À moins qu’il y ait de fortes pressions américaines, mais rien ne semble l’indiquer. La perspective de ce gouvernement est de poursuivre et d’accentuer, ce qui est le principal aujourd’hui, c’est le processus de colonisation, d’annexion de la Cisjordanie. L’autre aspect qui est très préoccupant, concerne les libertés et les droits de la minorité palestinienne en Israël. Ils vont être le bouc-émissaire du nouveau gouvernement, c’est évident.


 
3. Les primaires au Likoud ont fait apparaître un très fort glissement à droite, est-ce que c’est représentatif de la société israélienne ?


 


MW : Oui. Depuis une décennie, il y a un fort glissement à droite. Ou je dirais plutôt la disparition de ce qui était le centre gauche, ce qui était le mouvement de la paix israélien. Mais qui n’a pas disparu en tant qu’opinion, il existe. Si on prend les sondages, il reste une composante importante de la société israélienne, mais elle n’est pas du tout dans un sentiment d’urgence et elle est beaucoup plus– comme ce sont souvent les classes moyennes – dans la consommation, dans l’individualisme, qui sont dans l’esprit du temps malheureusement, et laisse la droite qui elle, agit dans un état d’urgence.


 


4. Comment expliquer ce glissement à droite de la société israélienne ?


 


MW : Il y a deux raisons fondamentales. L’une conjoncturelle et l’autre plus structurelle. La première c’est l’écroulement du discours modéré israélien, avec Ehoud Barak en 2000. Revenant de Camp David, il avait repris mot à mot le discours très à droite d’Ariel Sharon, ce qui d’ailleurs s’est exprimé dans les élections, puisqu’on préfère voter pour l’original plutôt que pour la copie. On a voté Sharon massivement. La deuxième raison, c’est qu’Israël est le dernier pays qui est encore complètement – et pas seulement comme politique mais aussi comme opinion publique – dans l’esprit du choc des civilisations. Pour la majorité des Israéliens, plus ou moins consciemment, on est menacé par l’islam. L’Islam est une menace existentielle de la civilisation dite « judéo-chrétienne » et donc d’Israël qui est la tranchée avancée de cette civilisation, au cœur de là où ça se passe, c’est-à-dire au Moyen-Orient.


 


5. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour faire bouger les choses ? Est-ce que l’on peut attendre un changement de l’attitude américaine, est-ce qu’Obama peut faire pression sur le gouvernement israélien ?


 


MW : Oui je crois. Je ne crois pas à l’omnipuissance des lobbys aux États-Unis. L’administration américaine a les moyens de faire pression sur Israël. La question est celle d’une volonté politique, est-ce qu’elle existe ? À long terme, je suis totalement persuadé que les Américains vont devoir changer de politique et être beaucoup plus exigeants par rapport à Israël, parce que les enjeux pour eux au niveau régional sont énormes. À court terme je n’en suis pas certain.


 


6. Et l’Europe dans tout ça ? Et la France ? Il y a quelque chose comme une timidité, une division, une inaction, une impuissance volontaire.


 


MW : Il y a une impuissance volontaire. L’Europe peut mieux faire, elle a fait mieux. C’est De Gaulle, mais aussi Mitterrand, Chirac, droite et gauche confondues, c’est ce qui a servi quelque part de locomotive pour une autre politique, tout du moins pour une autre « parole » européenne. L’Europe disait aux Américains « C’est vous qui êtes les maîtres du jeu au Moyen-Orient, mais nous n’aurions pas fait cela comme ça et ça risque d’être contre-productif ». Cette Europe-là a disparu. Si on prend la France comme exemple, surtout, vu le rôle moteur de la France, depuis Sarkozy c’est une autre histoire.

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