L'édito de Pascal Boniface

« Devenez un leader » – 3 questions à Pierre Cabane

Édito
8 février 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
Pierre Cabane, diplômé de l’EM Lyon, entrepreneur – ancien cadre dirigeant d’une division internationale du groupe L’Oréal et créateur d’une marque cosmétique – est intervenant à l’Université Paris Dauphine et Science Po. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Devenez un leader : les clés de la réussite », aux éditions Eyrolles.

Être un leader est-il inné ? Peut-on apprendre à le devenir ?

Comme un grand compositeur, le leader est un mélange résultant de certaines prédispositions et de beaucoup de travail !

C’est la perception des autres qui vous positionne comme un leader ou pas : on peut être nommé manager, pas leader. Si l’autorité du manager, désigné par sa hiérarchie, trouve son fondement dans l’organisation de l’entreprise, le leader tire son pouvoir et son influence de la reconnaissance des autres. Comment définir le leader ? On pourrait dire que le leader conduit l’organisation vers l’accomplissement d’objectifs innovants à long terme en alignant les énergies sur une vision prospective. A l’aise dans un environnement changeant, le leader croit dans le futur et l’exprime par un optimisme permanent et affiché : le leader a un devoir de bonne humeur ! Dans l’entreprise, il incite ses collaborateurs à aller durablement au-delà de leurs intérêts personnels, de leurs domaines de compétences et de leurs fonctions.

Oui, Il est possible d’améliorer la capacité de leadership d’un individu en travaillant par exemple sur certaines compétences clés indispensables au leader.

  • Inspirer confiance. Pour suivre un leader, les équipes ont besoin d’avoir un sentiment de fiabilité concernant son intégrité, sa loyauté, ses aptitudes, sa personnalité, sa transparence, son ouverture… C’est en ayant confiance dans le leader que les équipes prendront confiance en elles ;

  • Insuffler énergie et passion. Motiver, c’est donner de l’énergie : il lui faut savoir orchestrer l’énergie de ses collaborateurs pour soutenir leurs efforts dans la durée. Et dépassant le simple engagement, le leader doit montrer sa passion pour le projet stratégique qu’il a construit ;

  • Faire preuve d’anticonformisme. Le leader doit s’autoriser des audaces, des raisonnements à contre-pied, des remises en cause profondes. Il sera à la recherche de nouveaux modèles, d’initiatives inédites. Fréquemment, ces comportements originaux, voire insolites, susciteront la surprise puis l’intérêt et enfin l’adhésion des équipes ;

  • Donner du sens. Au-delà du classique développement d’une vision stratégique, le leader doit donner du sens à l’action de l’entreprise. En traçant des perspectives, il fabrique un véritable ciment aux différents éléments composant l’entreprise : son histoire, sa vision, ses missions, ses chiffres, ses valeurs…


La question du temps est-elle le principal défi pour un dirigeant ?

C’est en effet un vrai problème sur le plan organisationnel ! Sauter de réunion en réunion, agir dans l’urgence, décaler un rendez-vous, faire une note au dernier moment, répondre à toutes les sollicitations, arriver en retard… Après une journée bien remplie, un sentiment confus envahit souvent le dirigeant : mais qu’ai-je donc fait aujourd’hui ? Bien gérer son temps, c’est s’affranchir de ce cercle vicieux pour faire passer le temps de l’état de contrainte à celui de ressource : comme disait Sénèque, « ce n’est pas que nous disposions de très peu de temps, c’est plutôt que nous en perdons beaucoup » !

Quelques règles simples permettent au leader d’être acteur de son temps.

En premier lieu, il faut savoir gérer ses priorités : tout n’est pas urgent, tout n’est pas important ! Pour déterminer l’importance et l’urgence d’un élément, il faut toujours le relier au contexte en se posant deux questions : quel est le degré d’urgence de la tâche ? quelles sont les conséquences si je ne m’en occupe pas ?

Ensuite, le dirigeant devrait pouvoir se ménager des « plages libres » hebdomadaires ou quotidiennes et ce pour trois raisons au moins :

  • S’il faut savoir dépenser son énergie, il faut également savoir se ressourcer ;

  • Certains dossiers nécessitent que le dirigeant puisse s’isoler pour réfléchir et prendre du recul.

  • Et surtout, une journée de dirigeant comporte environ 40% d’imprévus auxquels il va falloir faire face !


Le dirigeant veillera également à maîtriser les sollicitations : les « parasites du temps » viennent aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur de l’entreprise : visite d’un collaborateur, sollicitation téléphonique d’un client, réunion impromptue … Refuser la sollicitation d’une personne n’est pas simple : mais il faut savoir dire « non », en rejetant la demande et non l’interlocuteur qui doit toujours se sentir considéré et respecté.


Mais surtout, le dirigeant n’oubliera pas que l’un des principes de base dans la gestion du temps, c’est l’art de déléguer. Le dirigeant peut penser mieux faire que les autres dans un certain nombre de domaines. Mais quand les mêmes problèmes reviennent régulièrement, le temps qui leur est consacré devient de plus en plus important. Dans la réalité, après une période de rodage et d’apprentissage, les membres d’une équipe de direction bien choisis devraient arriver à résoudre avec succès la plupart de ces problèmes : et sans doute plus rapidement que le dirigeant… Il faudra pour cela apprendre à accepter que quelqu’un va d’abord faire plus lentement et pour ensuite faire mieux et plus vite : le dirigeant pourra alors se dédier pleinement aux enjeux stratégiques.

Comme se définit une vision stratégique ?

La confusion est fréquente entre les différents termes : vision, valeurs, mission, stratégie, etc. Si la stratégie est l’art d’allouer des ressources, la vision stratégique du dirigeant est la représentation mentale d’un état futur possible et souhaitable de l’organisation.

Pouvoir imaginer ce que sera l’avenir de l’entreprise est une qualité essentielle du dirigeant. C’est la construction de la vision stratégique qui permettra de fixer le cap, de définir une stratégie pertinente, de mobiliser les énergies, de créer de la valeur. C’est une vision stratégique claire qui donnera du sens à l’entreprise. C’est son existence qui fera la différence entre le manager et le leader : outre les décisions opérationnelles quotidiennes, le dirigeant devra mener une réflexion stratégique sur un horizon plus long tout en intégrant les problématiques de changement de l’environnement.

La vision stratégique :

  • s’inscrit toujours dans un horizon de long terme ;

  • découle de l’ADN de l’entreprise ;

  • est fondée sur la faculté d’anticipation du ou des dirigeants ;

  • est le fruit d’une recherche, d’une intuition, d’un travail…

  • est généralement issue d’une seule personne ou d’un petit nombre de personnes ;

  • intègre une dimension émotionnelle ;

  • renforce le sentiment d’appartenance ;

  • présente un caractère idéal.


Pour être comprise par les collaborateurs, acceptée par les clients et les autres parties prenantes, la vision stratégique doit découler fortement de l’identité de l’entreprise. C’est l’identité, puissant facteur potentiel de différenciation concurrentielle, qui constitue le socle de la vision stratégique : le dirigeant prendra garde à ne pas s’en éloigner.
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