L'édito de Pascal Boniface

« 150 ans de football » – 3 questions à Ludovic Tenèze

Édito
28 octobre 2015
Le point de vue de Pascal Boniface
Dans son dernier ouvrage « 150 ans de football: histoire des lois du jeu », paru aux éditions Raison et Passions, Ludovic Tenèze, enseignant à l’UFR STAPS de l’université Paris Descartes, analyse les 150 années d’évolution des règles du football, dicté par cet organisme peu connu et surpuissant qu’est le « Board ».

Qu’est-ce que le « Board » et quels sont ses pouvoirs réels ?
Le Board est une instance internationale responsable des lois du jeu du football depuis la fin du 19e siècle. Sa dénomination véritable est International Football Association Board (IFAB). Cette institution est crée en 1886 par les quatre associations britanniques (Angleterre, Écosse, Pays de Galles et Irlande) pour accompagner les premiers pas du Home International Championship, compétition regroupant les sélections nationales de ces quatre nations. Les associations britanniques, membres fondatrices du Board, ont délégué la responsabilité des lois du jeu à cette institution internationale chargée du processus d’unification des règles et de leur application. Depuis 1886, une seule nouvelle fédération a été admise dans cette institution traditionnelle, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) en 1913. La FIFA, créée en 1904, regroupe et représente l’ensemble des fédérations nationales de football… 209 pays aujourd’hui.
Le Board demeure depuis 1886, le seul organe décisionnaire des lois du jeu. Sa mission est de discuter et décider d’éventuelles modifications de ces dernières. Les cinq membres du Board sont les seuls habilités à faire des propositions de transformation, débattues lors de leur réunion annuelle. Aujourd’hui, chacune des quatre fédérations britanniques dispose d’une voix, et la FIFA de quatre voix. Il est possible de considérer que le développement de la FIFA a été progressivement pris en compte, mais une majorité de six voix est nécessaire pour l’adoption d’une nouvelle mesure. Les créateurs du jeu conservent le pouvoir. Ce protectionnisme montre que les Britanniques restent les gardiens des lois du jeu !

Souvent perçu comme conservateur et rétrograde, vous le décrivez comme innovant. Pourquoi ?
Le Board fêtera ses 130 ans en 2016, avec cinq fédérations membres toutes centenaires. Leur représentant sont les personnes éminentes des associations (président, vice-président, secrétaire) cooptés par le Board. Avec des vieux sages qui siègent une seule fois par an, le Board est logiquement perçu comme conservateur. Ses détracteurs qualifient cette institution de rétrograde et l’accusent d’être une chasse gardée des Britanniques. Ils affirment que les règles ont très peu évolué depuis sa fondation. Tant et si bien que les membres de l’IFAB sont considérés comme les gardiens du Temple, chargés de vérifier avec vigilance la bonne application des règles qui ont fait du football un sport institutionnalisé universel.
Ce livre questionne le processus d’évolution du règlement depuis 1886, rythmé par les 129 assemblées générales annuelles du Board. Nous avons repéré plus de 700 tentatives de transformations. Plus des deux-tiers des propositions ont été acceptées par le Board, ce qui valide un processus d’évolution continu, mais non uniforme. En effet il existe un traitement différencié pour chaque loi du jeu. Celles qui ont une incidence sur les buts marqués, et donc sur le résultat des matchs, sont les plus discutées : les fautes, le hors-jeu et le coup de pied de réparation (le penalty).
Le Board joue un rôle important dans l’envieuse sauvegarde des lois du jeu. Pourtant, cette institution fait preuve de modernisme à chaque époque, en intégrant des matériaux nouveaux, en luttant contre les effets pervers du jeu et en assimilant la logique du spectacle. Le côté spectaculaire influence en permanence les règles, comme le montre l’apparition des cartons jaunes et rouges (1968), la séance des tirs au but (1970) ou la technologie sur la ligne de but (2012).

On entend souvent qu’il y a plus de violences aujourd’hui dans le football. Pourtant, votre livre démontre l’inverse…
À l’origine du football en 1863, taper dans les tibias de l’adversaire (Hacking) pour se frayer un passage dans les rangs adverses faisait partie du jeu. Au début du 19e siècle, il était encore possible de charger le gardien qui tenait le ballon et de l’expédier dans le filet grâce à une charge correcte et loyale ! Jusqu’en 1998, le tacle par derrière était encore autorisé ! Le football, sport de duel, nécessite de conserver un équilibre entre la protection du joueur et l’engagement physique. L’étude des lois du jeu montre que les règles sont de moins en moins permissives.
En fait, comme le précisait Norbert Elias (1994), les sports collectifs ne sont pas de plus en plus violents mais on constate un accroissement de la sensibilité à l’égard de la violence. Cette diminution de la tolérance à la violence est illustrée par la limitation du droit de charge, l’accroissement des fautes grossières sanctionnées, l’augmentation des possibilités d’exclusion des joueurs…Le Board précise que l’arbitre a la possibilité d’exclure définitivement du terrain un joueur coupable de conduite violente (1938), de brutalité, s’il tient des propos injurieux ou grossiers (1972) envers les arbitres, adversaires, partenaires, dirigeants et le public. Aujourd’hui, en cas de violence physique ou verbale, l’arbitre peut exclure le joueur même après la fin du match !
L’invention des cartons jaune et rouge en 1968 pour lutter contre le jeu dur illustre parfaitement cette volonté de contrôler la violence. Le fait de rendre les cartons visibles et surtout d’obliger les arbitres à les noter sur la feuille de match, a modifié le comportement des joueurs au 20e siècle. D’autant qu’aujourd’hui, les caméras chassent les moindres paroles et mauvais gestes des joueurs !
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