L'édito de Pascal Boniface

Les droits des homosexuels, un enjeu géopolitique

Édito
6 février 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Frédéric Martel, directeur de recherche à l’IRIS, à la tête du groupe de travail sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité de l’IRIS, vient de publier « Global Gay. Comment la révolution gay change le monde » (Flammarion, 2013). Il répond aux questions de Pascal Boniface.
 
En quoi la “révolution gay” est un sujet géopolitique ?
La question des droits des personnes homosexuelles doit être envisagée comme un sujet de "soft power". Elle correspond d’une certaine manière à une "nouvelle frontière" des droits de l’homme, parallèlement à la question des discriminations à l’égard des femmes. Ce nouvel enjeu géopolitique a bien été perçu par Barack Obama et Hillary Clinton qui en ont fait une priorité de la diplomatie américaine. Mais il est aussi très discuté aujourd’hui à l’ONU (New York) et au Conseil des droits de l’homme (Genève). Il fait enfin l’objet de débats importants au sein de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. En fin de compte, il y a une sorte de "momentum" international sur cette question en ce moment.

Certains régimes autoritaires semblent plus craindre l’organisation en réseaux des gays que l’homosexualité en tant que telle…
Il y a trois régions au monde où les homosexuels sont en danger : le Moyen Orient, l’Asie musulmane (dont l’Iran et l’Irak) et l’Afrique évangéliste. Dans huit pays – tous musulmans -, l’homosexualité est passible de la peine de mort. A côté de cette "homophobie chaude", il y a ce que j’appelle une "homophobie froide", notamment en Russie, où la "propagande" pro-gay est fortement pénalisée. Dans ces régimes autoritaires on craint en effet moins l’homosexualité en tant que telle – elle est fréquente dans le monde arabe et en Iran – que sa reconnaissance. On rejette violemment la culture et les droits des gays, quitte à fermer les yeux sur les pratiques privées et individuelles.

Vous estimez que dans certains cas pour faire progresser la situation des homosexuels sur le terrain il est préférable d’être pragmatique que provocateur. C’est de la realpolitik appliquée aux mouvements gays?

Je crois profondément aux droits de l’homme et cet argument du droit peut être utilisé fermement, par exemple en Pologne, en Hongrie, etc. Je pense néanmoins que l’argument est difficilement audible en Chine, en Iran ou dans les pays qui pénalisent durement l’homosexualité. Nous pouvons être plus subtils et trouver des stratégies de contournement par la culture, Internet, le financement des associations locales ou expatriées, l’aide aux lieux gay-friendly, et en dernier recours l’accueil des exilés. C’est toute une politique contre les discriminations gays et lesbiennes qu’il faut penser à l’échelle globale. Et c’est un sujet dont le ministre des Affaires étrangères pourrait se saisir.
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