L'édito de Pascal Boniface

Sur le plan international, le pape François sera plus progressiste que Benoît XVI

Édito
14 mars 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
L’élection d’un pape est bien sûr avant tout un événement religieux et spirituel concernant plus d’un milliard de personnes dans le monde. Mais il a forcément de lourdes conséquences géopolitiques.
 
Les choix stratégiques du nouveau pape auront des répercussions sur le poids de l’Église catholique dans le monde et un impact dans le complexe processus de décision internationale.
 
 
Certes, l’Église n’a plus la puissance qui était la sienne avant le traité de Westphalie de 1648, qui a justement reconnu la souveraineté des États en les affranchissant de la tutelle du pape et du Saint-Empire romain germanique.
 
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Staline s’était interrogé : "Le Pape combien de divisions ?" Pour le maître du Kremlin, sans force militaire, on ne pesait pas dans les relations internationales. Staline ne connaissait que la brutalité des rapports de force, pas les nuances de l’influence du soft power. Il avait tort.
 
S’il était tout aussi exagéré d’attribuer au seul Jean-Paul II la chute du communisme, il est indéniable que l’Église catholique a une influence sur les affaires mondiales qui est sans rapport avec la puissance de l’État du Vatican.
 
Il est plaisant de remarquer que dans chaque pays qui compte un cardinal, la question qui se posait avant l’élection était de savoir si un compatriote avait une chance de succéder à Benoît XVI. On a vu beaucoup de drapeaux nationaux sur la place Saint-Pierre dans l’attente de la fumée blanche.
 
En Argentine, l’élection de Bergoglio a été célébrée avec le même enthousiasme qu’une victoire de l’équipe nationale de football. L’Église et le message du Christ sont universels, mais dans ce monde globalisé, l’identification nationale reste encore un critère capital.
 
 
On se demandait avant l’élection si après un Polonais et un Allemand, on reviendrait à la tradition des papes italiens. Cela aurait été un signe d’enfermement de l’Église catholique et de non prise en compte de la mondialisation. Si le Vatican veut continuer à rayonner de façon mondiale, il ne peut pas se crisper sur une identité italienne. 40% des catholiques sont latino-américains (pour seulement 16% des cardinaux).
 
Benoît XVI avait qualifié l’Amérique latine d’un des deux poumons spirituels du catholicisme. François est le premier pape non européen depuis Grégoire III, né au VIIIe siècle en Syrie. Les cardinaux ont compris que l’Église devait s’adapter à la nouvelle donne mondiale et non pas attendre que celle-ci s’adapte au Vatican. Il est probable qu’à l’avenir nous aurons à connaître un pape africain ou asiatique.
 
Les églises latino-américaines ont été partagées entre le soutien aux dictatures militaires et une approche très marquée à gauche de la théologie de la libération que Mgr Romero au Salvador (assassiné par la junte militaire) ou Don Helder Camara au Brésil incarnaient.
 
Bergoglio ne s’est pas opposé à la junte de Videla. Il n’en a pas non plus été complice comme le disent certaines rumeurs. S’il n’adhère pas la théologie de la libération, c’est bien un prêtre du tiers-monde et des classes populaires qui a renoncé aux demeures luxueuses et voitures avec chauffeur pour se déplacer en transport en commun et habiter dans un modeste appartement.
 
En 2009, il s’était installé chez un prêtre vivant dans un bidonville et menacé par les narcotrafiquants. Cette proximité avec les classes populaires sera un atout précieux pour l’attractivité de l’Église au niveau mondial.
 
Le pape François, sur les sujets de société – homosexualité, avortement, mariage des prêtres, contraception – a des positions que l’on peut qualifier de "réactionnaires" dans la lignée de ses prédécesseurs qui expliquent la désaffection des populations vis-à-vis de l’Église, notamment dans les sociétés européennes.
 
Il a néanmoins critiqué les prêtres qui ont refusé de baptiser les enfants nés hors mariage en les qualifiant d’hypocrites. Redynamiser la foi dans les sociétés occidentales est un défi important.
 
Sur le plan international, il est plus progressiste, comme l’était déjà Jean-Paul II. La critique de l’ultralibéralisme, la nécessité de lutter contre la misère font partie de ses fondamentaux. Pour lui, la pauvreté est une violation des droits de l’homme.
 
Le discours prononcé par Benoît XVI à Ratisbonne en 2006 avait suscité de fortes critiques dans le monde musulman. L’une des tâches prioritaires de François sera de renouer un dialogue. Il lui faut prendre également en compte la situation des chrétiens d’Orient de plus en plus menacée.
 
La situation des chrétiens dans les pays musulmans où la liberté de culte est rarement respectée est un aussi un problème. Sur le conflit israélo-palestinien il pourra être plus libre que son prédécesseur allemand.
 
Il y a également la concurrence des mouvements évangéliques protestants notamment en Amérique latine et en Asie.
 
Permettre le développement du catholicisme en Chine où coexistent deux Églises – l’une officielle liée au régime et l’autre semi clandestine liée à Rome – il y aurait en tous 20 millions de catholiques en Chine nombre qui pourrait se multiplier en cas d’assouplissement de Pékin sur le sujet et sur fond de recherche de spiritualité de nombreux Chinois.
 
François, s’il tient un discours de justice au niveau international et s’il modère un discours sociétal en décalage avec les réalités pourra redynamiser l’Église catholique. Les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qui doivent avoir lieu cet été au Brésil seront un premier test.
 
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