L'édito de Pascal Boniface

Marine Le Pen surfe sur la peur de l’islam

Édito
7 mars 2011
Le point de vue de Pascal Boniface
La publication d’un sondage donnant Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle française de 2012 a créé un choc. Selon l’organisme Harris interactive elle réaliserait 23 % des voix, distançant Martine Aubry pour le Parti Socialiste et Nicolas Sarkozy, tous deux à 21 %. Elle n’aurait certes aucune chance d’être élue au second tour. Mais cela marque la progression du Front National. Son père, Jean-Marie Le Pen, auquel elle a succédé avait déjà créé la surprise en se qualifiant pour le second tour des élections de 2002, éliminant le Premier ministre et candidat socialiste Lionel Jospin, donné auparavant favori du scrutin qui vit l’élection de Jacques Chirac.

Pour choquante qu’elle soit, la progression de Marine Le Pen n’est pas tout à fait surprenante. Pendant longtemps on s’est demandé si le Front National survivrait à la disparition de son chef historique Jean-Marie Le Pen. Son remplacement par sa fille n’a pas affaibli le Front National, mais lui a donné un souffle nouveau. Marine Le Pen a modernisé, rajeuni et féminisé l’image du parti. C’est une battante qui contrairement à son père, évite les provocations inutiles et ne suscite pas le même effet repoussoir que le vieux leader d’extrême droite. Elle apparaît plus présentable mais n’est pas pour autant plus modérée. Elle a changé d’adversaires. Son père faisait régulièrement des dérapages antisémites, Marine Le Pen s’en garde bien et a même essayé de créer des ponts avec les institutions juives et avec Israël. Elle concentre ses attaques sur les immigrés et les musulmans, présentés comme une menace aussi bien interne qu’internationale pour la sécurité et la prospérité des Français.

Comment expliquer cette percée ? Les Français sont inquiets pour leur avenir. Comme dans de nombreux pays occidentaux, ils ont le sentiment que demain sera moins agréable qu’aujourd’hui tant pour eux que pour leurs enfants. Le chômage persiste, les loyers, le prix de l’essence et des biens alimentaires augmentent, créant de véritables difficultés sociales en très grand nombre. Ils ont également le sentiment que leurs responsables politiques ne leur disent pas la vérité. Marine Le Pen incarne pour certains un franc-parler. Elle surfe sur le rejet des élites, jugées coupées des préoccupations des citoyens.

Même ses adversaires reconnaissaient à Nicolas Sarkozy le mérite d’avoir marginalisé l’extrême droite après sa victoire en 2007. On se rend compte qu’il l’a au contraire revigoré. Alors qu’il avait baissé dans les sondages (il a récemment atteint un record d’impopularité, avec seulement 22 % de bonnes intentions), il a voulu partir à la reconquête de l’électorat en jouant sur les sentiments sécuritaires. C’est ce qui lui avait permis de gagner en 2007. Mais aujourd’hui il ne peut plus incarner la rupture comme il l’avait habilement fait par rapport à Jacques Chirac.

À vouloir lancer un débat sur l’identité nationale – qui serait en danger face à l’islam, présenté comme un problème si ce n’est une menace -, à vouloir voter à grand renfort de publicité et de loi sur l’interdiction de la burqa alors que cela ne concerne que quelques dizaines de personnes, à désigner les Roms comme des individus dangereux, à insister – tout en se félicitant en retard de la chute des régimes Ben Ali et Moubarak – sur les dangers que pouvaient représenter les révolutions arabes en terme d’immigration, Nicolas Sarkozy est venu valider les thèses du Front National. Les Français, comme la plupart des peuples, préfèrent toujours l’original à la copie. Si le président de la République lui-même présente les musulmans comme pouvant poser problème, autant soutenir Marine Le Pen qui le dit encore plus fort. Une partie de la gauche porte également une lourde responsabilité dans l’affaire, en stigmatisant les musulmans sous couvert de défense de la laïcité et des droits des femmes.

Ce sondage va donner à l’étranger, et surtout au monde arabe en pleine ébullition, l’image d’une France repliée sur elle-même. C’est au contraire l’image d’une France ouverte, en phase avec le moment historique qui se produit, qu’il faudrait donner. Il est temps de se ressaisir.
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