L'édito de Pascal Boniface

Les députés français reconnaissent l’État de Palestine : positif… mais pas suffisant

Édito
12 décembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

La reconnaissance par les députés français ce mardi 2 décembre de l’État palestinien par 339 voix contre 151 peut être considérée comme une victoire pour ceux qui estiment que la paix au Proche-Orient passe par la solution dite des « deux États ».


Je parle ici de ceux qui sont sincèrement attachés à la paix et non de ceux qui, tout en s’en disant partisan sur le papier, ne condamnent ni l’extension des colonies ni la répression palestinienne et font la chasse en France à ceux qui osent critiquer le gouvernement israélien.


La balle est désormais dans le camp du président de la République. Celui-ci affirme vouloir prendre son temps. « Ce que nous souhaitons c’est être efficace, brandir cette possibilité comme une menace à moyen terme », aurait confié un diplomate que l’on peut supposer être proche de François Hollande.


Mais qu’est-ce que cela veut dire prendre son temps, 47 ans après le vote de la résolution 242 demandant à Israël de se retirer des territoires occupés et 21 ans après la signature des accords d’Oslo ?


Il y a déjà 135 pays membres de l’ONU sur 193 qui ont reconnu l’État de Palestine. La France souhaite-elle être parmi les derniers pays à le faire ?
Est-ce conforme à sa tradition diplomatique depuis la création de la Ve République ? On était habitués à voir la France pionnière et non suiviste, volontariste et non attentiste.


Il est pour le moins curieux que la France, qui a toujours été à la pointe du combat pour la reconnaissance des droits des Palestiniens, conforme à son attachement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui n’a jamais eu peur de prendre une position en flèche y compris par rapport à ses partenaires occidentaux sur ce point, pour en retirer un immense prestige dans l’ensemble de ce qu’on appelait hier le tiers-monde et aujourd’hui le Sud et/ou les pays émergents, adopte aujourd’hui une position frileuse.


Surtout à une époque historique où la montée en puissance des pays non occidentaux et le développement de l’accès à l’information rendent cette cause universellement connue et fédératrice au sein de l’opinion publique mondiale.


L’argument est de ne pas vouloir interférer dans des négociations bilatérales. Mais qui ne se rend compte qu’elles ne débouchent sur rien en l’absence de pressions internationales ? C’est justement en reconnaissant l’État de Palestine et en faisant pression sur le gouvernement israélien que l’on peut parvenir à faire bouger les lignes et non pas en regardant l’eau couler sous les ponts.


Les récents développements politiques en Israël avec la perspective d’un gouvernement encore plus à droite – pour ne pas dire encore plus à l’extrême droite – que l’actuel, le départ du centre de la coalition au pouvoir, ne peuvent conduire à un optimisme excessif quant à une paix négociée, si on laisse Israël et les Palestiniens se débrouiller seuls.


Dans la campagne électorale, François Hollande avait pris position pour la reconnaissance de l’État palestinien. Il se démarquait ainsi de Nicolas Sarkozy. Il semble être désormais sur une position guère éloignée de celle de son prédécesseur. Se déclarer officiellement pour la paix mais ne pas être actif sur le dossier.


Comment expliquer cela ? L’une des raisons est probablement la peur des campagnes lancées à partir d’Israël ou des États-Unis et relayées en France sur l’antisémitisme viscéral qui sévirait dans notre pays. Mais faut-il céder au chantage ?


L’autre semble être de ménager le Crif et les institutions communautaires juives qui ont ardemment fait campagne contre le vote. On a vu beaucoup de commentaires attribuant le revirement du PS sur la question (il y a 10 ans en effet, seule une minorité de parlementaires auraient voté en faveur de la résolution ; seule une infime poignée a ce mardi voté contre) au fait de vouloir reconquérir l’électorat des quartiers sous-entendus arabes et musulmans.


La guerre de Gaza a été un tournant. Il y a une génération Gaza, des jeunes de tous horizons confondus qui ont été révulsés par l’image de bombardement de populations civiles soumises de surcroît un blocus. Le mouvement est même intergénérationnel, c’est une majorité de Français qui est sur cette ligne.


On ne voit pas ce qu’il y avait d’anormal à les écouter surtout si cela est conforme à notre intérêt national et à notre rayonnement international. Ce sont ceux qui font un choix inverse qui les sacrifient pour des calculs de politique intérieure.


Ce qui est curieux, c’est que ceux qui mettent en avant cet argument relaient en fait la campagne du Crif et estiment qu’ils se mettraient politiquement en danger s’ils se querellaient avec cette organisation. S’il y a bien une motivation de politique intérieure, elle a conduit à voter contre cette résolution et non pas en sa faveur.

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