L'édito de Pascal Boniface

Corée du Nord : la rationalité de l’irrationalité

Édito
24 novembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface

Tirs de missiles, mort de deux soldats sud-coréens, escalade verbale et prochaines manœuvres militaires américano-sud-coréennes. C’est peu dire que la situation est inquiétante dans la péninsule coréenne, qui reste l’un des endroits les plus « chauds » d’un point de vue stratégique et/ou le risque d’un conflit armé interétatique pourrait avoir les plus graves conséquences. Sans parler des effets d’une guerre généralisée (Séoul est à 40 km de la frontière entre les deux Corées), le simple tir d’un missile nord-coréen sur la capitale sud-coréenne (ou sur Tokyo) aurait des effets dévastateurs. La Corée du Nord n’est pas en mesure de gagner un conflit mais elle peut avant de le perdre créer des dégâts immenses.

Pour autant, le risque d’une guerre n’est pas le scénario majeur. Certes on ne peut pas totalement exclure le risque d’un enchaînement de provocations qui conduirait à une situation incontrôlable. Mais le plus probable est que les protagonistes sachent au final contrôler la situation.

La nature même du régime nord-coréen contribue à nourrir l’anxiété. C’est en effet le dernier régime totalitaire du monde. Mais l’erreur la plus couramment commise est de conclure à l’irrationalité du régime nord-coréen. Il a de nombreux défauts, prive ses citoyens de tout espace de liberté public ou privé, et n’est pas capable de satisfaire leurs besoins de base (santé, éducation et nourriture). Il maintient un état de tension permanente dans la région. Bref il n’apporte rien de positif. Mais, pour autant, ses dirigeants ne sont pas irrationnels.

Une fois encore, on confond le fait de partager des valeurs d’un régime avec la question de sa rationalité. Kim Jong-Il, tout comme son père Kim Il-Sung, a au contraire fait preuve d’une habilité à toute épreuve pour maintenir au pouvoir, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, un régime qui a échoué en tout. Son but est de se maintenir au pouvoir et d’assurer une seconde succession dynastique en transmettant le flambeau à son propre fils. Une guerre de grande ampleur contre la Corée du Sud et les États-Unis se traduirait par sa défaite et probablement sa mort. Ce n’est pas le but recherché, bien au contraire.

L’actuelle démonstration de force appartient plutôt à la catégorie « retenez-moi ou je fais un malheur ». C’est pour consolider le processus en cours de succession dynastique qui provoque une crise afin de rassembler autour de lui les « forces vives » du pays, à savoir l’appareil militaire. La Corée du Nord a ainsi récemment montré de nouvelles installations nucléaires à un scientifique américain dans le but de prouver l’efficacité de ses forces nucléaires et montrer indirectement les dommages qu’ils pourraient créer.

Pyongyang veut attirer l’attention de Washington pour ouvrir enfin des négociations bilatérales avec les États-Unis (ce qui serait une victoire diplomatique pour Kim Jong-Il) alors qu’Obama se contente du processus de négociation multilatérale. Fidèle à sa stratégie d’extorsion, la Corée du Nord peut également vouloir faire monter les enchères afin d’obtenir une aide économique et alimentaire urgentissime pour prix de clôture de la crise.

Ne pouvant plus compter sur personne – même la Chine commence à être sérieusement lassée – le régime nord-coréen est réduit à gesticuler au maximum afin de continuer à exister. Il faut prendre la situation au sérieux mais pas céder à la panique. Il joue rationnellement sur la perception de son irrationalité qui fait peur pour perdurer.*

*Cf mon précèdent article sur la Corée du nord « Le paradoxe nord-coréen son échec fait sa force » 29 septembre 2010
 


 

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