L'édito de Pascal Boniface

Roland Garros ou les enjeux d’un événement sportif mondialisé

Édito
23 mai 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Bertrand Pulman est sociologue, spécialiste des questions relatives à la santé et au sport, professeur à l’université Paris 13 Sorbonne Paris Cité, et directeur adjoint de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. Il vient de publier « Rouge est la terre. Dans les coulisses de Roland-Garros » (Calmann-Lévy, 2013) dans lequel il met en lumière les enjeux économiques, l’arrière-plan logistique, les retombées médiatiques et les dimensions culturelles du sport aujourd’hui. Il répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Peut-on parler d’événement sportif mondialisé à propos du tournoi de Roland-Garros ?


Sans aucun doute. Le « French Open » est l’évènement sportif français le plus regardé à l’échelle du monde, surpassant même le Tour de France. Le tournoi est retransmis à la télévision dans 180 pays. Ce succès médiatique est lié au choix fait par la Fédération Française de Tennis (FFT) de privilégier les ventes de droits à des chaînes en clair plutôt que payantes. Chaque année, 3000 représentants des médias provenant de 50 nationalités différentes, convergent porte d’Auteuil. De grandes firmes internationales, comme IBM ou FedEx, ont signé des accords de partenariat avec le tournoi, s’appuyant sur son rayonnement pour soigner leur propre image. La dernière en date est Emirates. Les résonances de cet évènement sont planétaires et reflètent les mouvements propres à la mondialisation. En témoigne le fait que la FFT a récemment tissé des liens privilégiés avec la Fédération chinoise de tennis : formation d’entraîneurs chinois, installation en France d’une base d’entraînement pour des joueurs chinois, aide à la construction de terrains en terre battue dans la région de Canton. La FFT a un intérêt direct à ce qu’émerge une génération de joueurs chinois de haut niveau aimant la terre battue et réussissant sur cette surface. Ce pays représente un nombre considérable de téléspectateurs potentiels, et donc des droits de retransmission conséquents. En 2011, la finale victorieuse de Li Na a été suivie à la télévision par 116 millions de ses compatriotes, alors que l’engouement pour le tennis dans ce pays démarrait à peine. Il faut imaginer le retentissement que pourrait avoir un exploit du même type dans le tableau masculin.

En quoi cet événement profite-t-il au sport amateur ?


Le tournoi repose sur un modèle économique très particulier. Son chiffre d’affaire est de l’ordre de 160 millions d’euros. Une fois défalqués les frais d’organisation et la dotation aux joueurs, la marge bénéficiaire nette est de 70 millions d’euros. Mais il faut savoir que cet argent n’enrichit pas des actionnaires, contrairement à ce qui se passe pour le Tour de France ou le Dakar. Le tournoi est un actif de la FFT et n’a pas de personnalité juridique distincte. Or, la FFT est une association à but non lucratif, sous le régime de la loi de 1901, chargée par délégation ministérielle de développer le tennis en France. Elle a pour mission d’accompagner le haut niveau, mais aussi de soutenir les clubs affiliés, de renforcer l’enseignement, de promouvoir le tennis amateur. Ce sont les recettes dégagées par Roland-Garros qui permettent à la FFT de remplir ces tâches. La réussite du tournoi fait vivre le tennis dans l’Hexagone. Aujourd’hui, avec ses 1,1 million de licenciés, le tennis est le deuxième sport le plus pratiqué dans notre pays, après le football. Quelques clubs huppés demandent des cotisations élevées, mais ils ne sont plus représentatifs. La plupart des clubs sont municipaux et pratiquent des tarifs raisonnables. A l’inverse, le tournoi de Wimbledon appartient à un club privé. C’est la raison pour laquelle en Grande-Bretagne, au niveau local, le tennis n’a pas du tout la même ampleur qu’en France. L’économiste du sport Frédéric Bolotny, a souligné l’originalité de cette situation : généralement, le secteur professionnel ne finance le secteur amateur qu’à la marge. Dans le monde du tennis français, la politique redistributive fédérale est adossée au succès phénoménal du tournoi. 
 
L’avenir et la place du tournoi sont-ils assurés ?


Le tournoi va devoir faire face à un certain nombre de défis. D’abord, celui d’un contexte économique global morose. Ensuite, celui de l’exigüité du lieu : le site est petit comparé à celui des autres tournois du Grand Chelem (8,5 hectares, contre 14 pour l’US Open et 20 pour Wimbledon et l’Open d’Australie). Le choix de rester sur place, en rénovant et étendant le stade, plutôt que de délocaliser, se heurte à des difficultés juridico-politiques loin d’être aisées à surmonter. Pendant ce temps, d’autres tournois, comme celui de Madrid, multiplient les investissements pour accéder à la cour des grands. Il existe aussi des périls plus spécifiques, comme le risque de matchs truqués liés aux paris sportifs ; la FFT est d’ailleurs en pointe dans ce combat. Cependant, le tournoi bénéficie d’atouts puissants qui devraient lui permettre d’envisager l’avenir sans trop de crainte. A l’échelle du monde, l’industrie des loisirs et du divertissement est en plein essor. Paris bénéficie toujours d’une aura exceptionnelle. Le lieu possède un cachet sans pareil. La menace de voir Roland-Garros perdre son statut de Grand Chelem au profit d’un autre tournoi, a été agitée. Je n’y ai jamais cru. Le statut de Grand Chelem résulte du poids de l’histoire. Elle n’est pas prête de s’inverser. Il faut simplement que les dirigeants du tournoi sachent préserver l’attractivité de l’épreuve. Cela passe par une augmentation de la dotation aux joueurs, déjà amorcée. Pour le public et les médias, la couverture du court Philippe-Chatrier est indispensable.
Tous les éditos