L'édito de Pascal Boniface

Faut-il refuser d’aller à « C dans l’air » quand Mohamed Sifaoui est invité ?

Édito
23 janvier 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
À la suite de l’émission de France 5 "C dans l’air" du 18 janvier 2013, j’ai reçu de nombreux messages de France et de Belgique me demandant pourquoi j’avais accepté de débattre avec Mohamed Sifaoui. Il est certain qu’il est des débatteurs plus agréables et surtout plus respectables.
 
Par principe, je ne choisis pas mes interlocuteurs dans les débats. Étant contre les tentatives de censure, je n’en pratique pas moi-même. Et j’estime que pratiquer la politique de la chaise vide est un remède pire que le mal.
 
L’émission n’a pas vocation à devenir un ring
 
Le problème dans une émission de débats pédagogiques comme "C dans l’air" dont l’objectif est d’informer le public, c’est qu’être confronté à un faussaire conduit au dilemme suivant : soit vous laissez multiplier les contre-vérités, soit vous réagissez à chacune d’entre elles. Le débat cède alors la place au pugilat. Le téléspectateur est pris en otage.
 
"C dans l’air" n’a pas vocation à devenir un ring, mais à permettre une information la plus complète et la plus diversifiée, du public. Celui-ci – et j’en ai des manifestations quotidiennes – apprécie que les débats soient à la fois contradictoires et policés. Yves Calvi ou Laurent Bazin ne fournissent pas de gants de boxe à leurs invités.
 
Aussi, lorsque Mohamed Sifaoui veut me provoquer en me reprochant d’être invité au Salon du livre d’Alger, que puis-je faire ? Je ne vois, pour ma part, aucun problème à ces invitations, bien au contraire. Mais est-ce que cela intéresse le téléspectateur qu’on se chamaille sur ce point ?
 
Lorsqu’il se lance dans une longue diatribe contre Bouteflika et sa politique de réconciliation nationale, disant qu’elle est responsable du terrorisme, je peux répondre que le climat me paraît meilleur en Algérie aujourd’hui que dans les années 1990.
 

L’interrompre ou le laisser dire ?


 
Dois-je insister lorsqu’il ne répond pas à mon allusion au général Nezzar ? Il avait témoigné en sa faveur à propos du procès en diffamation qu’il avait fait à l’auteur du livre "La sale guerre", qui mettait en cause des exactions commises par les forces de sécurité algériennes.
 
Lorsqu’il dit que comme journaliste, il a participé à des assauts contre des prises d’otages par les forces de sécurité, je pourrais l’interrompre pour lui signaler qu’il est extrêmement rare que les forces de sécurité invitent des journalistes à un assaut.
 
Lorsqu’il dit que le Conseil du culte musulman (CFCM) est impuissant, dois-je réagir en lui rappelant qu’il l’est certainement comparé au CRIF dont il était l’invité d’honneur lors de sa convention nationale et dont il est un partenaire régulier ?
 
Dois-je jouer l’ironie en lui demandant de raconter une nouvelle fois comment il a infiltré Al-Qaïda ou, puisqu’un documentaire sur le 10e anniversaire de sa disparition est passé récemment à la télévision, lui rappeler qu’il avait fait détruire un restaurant en affirmant savoir où la jeune Estelle Mouzin était enterrée ?
 
Je suis donc contraint de le laisser entamer ses longs discours de mise en accusation des différents pays arabes, ses différentes théories du complot. Et je réalise en comparant ses interventions avec celles de Mathieu Guidère, spécialiste de géopolitique et du monde musulman (également présent sur le plateau), que celui-ci connaît précisément les mouvements djihadistes alors que Sifaoui reste dans des commentaires généraux.
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