L'édito de Pascal Boniface

 Ukraine : comment Vladimir Poutine a rétabli le jeu à son avantage

Édito
4 mars 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
Poutine vient d’effectuer un coup de force en renforçant le dispositif militaire russe en Crimée. Mais il a pris soin de ne pas ouvrir le feu. Il prend l’initiative du coup de force sans entrer en guerre.

travers cette stratégie, Poutine rétablit le jeu à son avantage, modifiant par des moyens militaires le rapport de force politique et diplomatique, tout en rappelant que la Russie ne veut pas être exclue et veut faire valoir ses droits en Ukraine. Il avait subi une défaite avec le renversement de son protégé à Kiev. En faisant peser la menace d’une scission de fait de la Crimée, il renverse complètement la situation à son avantage. Il laisse ainsi assez peu de possibilité de contre-attaque aux autres pays. C’est une nouvelle démonstration de force du président russe, par rapport aux Occidentaux et aux Ukrainiens. Il réaffirme l’existence d’un espace post-soviétique, lui qui avait dit que la dissolution de l’Union soviétique était la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle.

Il a en tête deux précédents, celui de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux régions scissionnistes russophones pour lesquelles le président géorgien Saakachvili avait tenté un coup de force en ayant l’espoir que les Etats-Unis l’aideraient. Mais les Etats-Unis ne l’ont pas aidé militairement, alors même que George W. Bush était au pouvoir. Il est encore moins envisageable aujourd’hui de voir Barack Obama prêter main forte militairement à l’Ukraine. Outre les précédents en Géorgie, la Russie n’a toujours pas digéré la guerre du Kosovo et son indépendance vis-à-vis de la Serbie. L’organisation d’un référendum sur l’autonomie de la Crimée permettra à la Russie d’opposer les principes d’intégrité territoriale et de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de prendre sa revanche sur les Occidentaux par rapport au Kosovo.

C’est peut-être une crise très grave entre la Russie et les Occidentaux, mais ce n’est pas la crise la plus grave à laquelle les Etats-Unis et l’Union européenne ont été confrontés depuis la chute du mur de Berlin. On peut dire que de la guerre du Golfe en 1990 à celle d’Irak en 2003, des guerres balkaniques dans les années 1990 à la crise iranienne, il y a eu de nombreuses autres crises mondiales. Mais c’est certainement un point très marquant dans les tensions entre la Russie et les Occidentaux, et surtout c’est la plus forte démonstration de force de la Russie à leur égard, à l’exception du mois d’août 2008 au cours duquel un affrontement armé, une mini guerre avait opposé la Russie et la Géorgie.

L’Union européenne et les Etats-Unis ont en fait assez peu d’options. L’option militaire est bien sûr écartée dès le départ, car ce serait une catastrophe et personne ne souhaite se lancer dans une guerre dans laquelle tout le monde serait perdant. Les Etats-Unis ont trop utilisé l’instrument militaire dans les années 2000 et Obama a bien marqué son intention de ne plus se lancer dans des aventures militaires. On a vu qu’il est déjà difficile de terminer une guerre contre un adversaire faible tel que l’Irak ; il est donc encore plus dur de le faire contre un adversaire fort comme la Russie, par ailleurs la seconde puissance nucléaire mondiale.

Il reste bien entendu les sanctions économiques, mais elles sont à double tranchant, car l’Europe ne peut arrêter d’importer le gaz de Russie qui lui est nécessaire. Il y a la perspective d’annuler le G8, voire même d’exclure la Russie du G8. Mais il n’est pas certain que cela soit extrêmement payant.

La difficulté est à la fois d’envoyer un signal de fermeté à l’égard de Moscou et en même temps de continuer le dialogue avec les Russes, puisqu’il n’y aura pas de solution à la crise ukrainienne sans leur aval. Exclure la Russie du G8 pourrait bien sûr avoir une portée symbolique forte, mais le problème est que les puissances occidentales ont besoin de parler avec la Russie, non seulement de l’Ukraine, mais également de la Syrie, de l’Iran et d’autres crises.

Dans toute sa brutalité, Poutine a joué habilement parce qu’il sait qu’il n’a pas grand-chose à perdre. Entre les gains qu’il peut escompter et les pertes qu’il peut subir, les premiers sont très nettement supérieurs aux secondes.
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