L'édito de Pascal Boniface

Le réjouissant succès de Stéphane Hessel

Édito
4 janvier 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Déjà 500 000 exemplaires ! Avec son petit livre d’une trentaine de pages, Indignez-vous (éditions Indigènes), Stéphane Hessel réalise l’un des plus beaux succès de librairie des dernières années, défiant toutes les règles habituelles des best-sellers.

La sortie a été confidentielle. C’est une fois le succès atteint que les médias se sont intéressés au phénomène, en venant le conforter par la suite. Mais c’est bel et bien le public qui s’est approprié le livre, qui n’a pas attendu les prescriptions des éditorialistes de l’élite politico- médiatique, pour susciter ce triomphe. C’est vraiment une réussite née de la base, grâce à un engouement spontané et sincère.

C’est la sincérité de Stéphane Hessel qui a touché nos compatriotes. Alors que tant de vedettes médiatiques sont dans la posture et l’imposture, se saisissent de causes réelles ou improbables pour se mettre eux-mêmes en avant, le public comprend que Stéphane Hessel a un réel engagement au service des autres.

Au moment où la connivence triomphe, où nous vivons sous le règne du renvoi d’ascenseur, où un petit nombre de gens s’auto-promotionnent, s’auto-congratulent, bâtissent leur succès sur des mensonges mutuels, la liberté et l’honnêteté intellectuelle de Stéphane Hessel dénotent et rompent heureusement avec le climat ambiant.

Il suscite un respect réel de la part de ses lecteurs. On ne vient pas à lui par intérêt, on n’attend pas de lui le soutien pour obtenir une émission, une tribune, une vitrine médiatique, ou la garantie d’être édité dans de bonnes conditions. On achète son livre parce que son message est fort et désintéressé. Les gens comprennent bien que rien n’est factice dans l’engagement de Stéphane Hessel.

À 93 ans, il est en phase avec la jeunesse de ce pays, quand bien des autorités morales autoproclamées seraient bien en peine de faire une conférence dans un lycée sans être chahutées par des jeunes assez intelligents pour ne pas être dupes, qui savent distinguer la sincérité de l’hypocrisie. Il a gardé ses indignations adolescentes. Son engagement dans la résistance, sa déportation, son action en faveur de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme ne le conduit pas à rechercher une rente de situation morale mais à continuer à se révolter pour un avenir meilleur.

Selon lui c’est « tout le socle des conquêtes sociales de la résistance qui est aujourd’hui remise en cause. » Il dénonce « le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la résistance, qui n’a jamais été aussi grand insolent égoïste avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État. » L’écart entre les plus pauvres et les plus riches qui n’a jamais été aussi important. Il estime que « l’actuelle dictature internationale des marchés financiers menace la paix et la démocratie. »

Lui qui a été envoyé en camp de concentration par les nazis parce qu’il était juif et résistant déclare « aujourd’hui la principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie » et recommande de lire le rapport de Richard Goldstone sur la guerre de Gaza dans lequel ce juge sud-africain juif accuse « l’armée israélienne d’avoir des actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité. » À part Jean Daniel, il n’y a pas d’éditorialiste en vue qui oseraient s’exprimer aussi clairement. Au passage, Hessel montre que l’attitude face au conflit du Proche-Orient n’est pas forcément le résultat d’une position communautaire, mais d’un choix politique. Ceux qui se plaignent que l’assimilation entre juifs et israéliens nourrit l’antisémitisme en France, devraient s’en réjouir. Hessel par son exemple, combat l’antisémitisme.

Le succès de Stéphane Hessel est moralement réconfortant. Il prouve que la sincérité, l’engagement réel, la volonté de défendre des convictions au service de l’intérêt général, et le fait d’aller à contre-courant des positions dominantes peut susciter l’engouement, notamment de la jeunesse. Il montre que le public n’est pas dupe et sait reconnaître les véritables engagements, le combat mené avec sincérité.
 


 

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