L'édito de Pascal Boniface

 Pardon my French. La langue française, un enjeu pour le XXIème siècle – 3 questions à Hervé Bourges

Édito
7 août 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 Hervé Bourges, auteur d’une quinzaine d’ouvrages a occupé de nombreuses fonctions dans l’audiovisuel (directeur de RFI, PDG de TF1 et de France Télévisions, et président du CSA). Ancien directeur de l’information et porte-parole de l’UNESCO, il y fut ambassadeur de France en 1994. Auteur de Pardon my French. La langue française, un enjeu pour le XXIème siècle, paru aux éditions Karthala en 2014, il répond aux questions de Pascal Boniface.

1/ L’emploi du Français semble de plus en plus réduit aux JO alors qu’il y est langue officielle. Son usage risque-t-il de complètement disparaître selon vous ?

J’avais effectivement constaté aux JO d’Athènes en 2004 que non seulement l’emploi du français n’était pas équivalent à celui de l’anglais, mais qu’il était clairement insuffisant. Depuis cette date, le Secrétaire général de l’OIF est intervenu très fermement auprès du CIO et selon les rapports des « grands témoins » des Jeux d’été et d’hiver qui ont suivi, des progrès ont été réalisés, notamment à Pékin. Mais on est encore loin du compte et les athlètes francophones sont défavorisés. Quiconque ne pratique pas l’anglais se sent discriminé aux J.O. Les interprètes ne favorisent pas également les deux langues et ne reprennent pas en anglais les propos des francophones qui sont donc marginalisés. Mais l’usage du français ne disparaitra pas des Jeux sauf à violer directement la charte du CIO et à insulter la mémoire de leur fondateur, Pierre de Coubertin.

 
2/ Vous pointez également le recul du Français aux Nations Unies. Est-ce inéluctable et en quoi est ce problématique ?

 
Grâce à Haïti qui joignit sa voix décisive à celles des autres Francophones pour exiger l’emploi du français comme une des langues de travail de l’ONU, les Nations Unies s’expriment et débattent aussi bien en Français que dans les autres grandes langues internationales. C’est d’ailleurs une tradition ancienne que d’employer le Français dans la diplomatie, tout autour du monde. L’usage du Français sera de plus en plus justifié par la croissance du nombre de Francophones, actuellement un peu moins de 300 millions et près d’un milliard en 2050, à 80% africains. Il serait problématique que l’une des langues les plus parlées au monde et dans laquelle s’expriment un très grand nombre de nos contemporains ne soit plus comprise à l’ONU. D’autant plus que cette langue a toujours défendu et exprimé des valeurs universelles qui sont à la racine même des institutions internationales.

 
3/ Vous faites un constat lucide et pessimiste dans les pays francophones, écrivant que « le français n’est plus obligé et une course poursuite s’engage pour combler le fossé entre les ainés et les générations montantes». Y a-t-il de moyens d’enrayer ce déclin ?

 
Ce n’est pas un déclin, c’est un changement de pratique avec l’arrivée des nouveaux médias, notamment audiovisuels et du déploiement des réseaux sociaux : paradoxalement, la langue est de plus en plus parlée par des gens qui la maitrisent de moins en moins. Les effets des réseaux sociaux et de la communication via textos, c’est une dislocation de la grammaire et de l’orthographe mais du coup aussi une démocratisation de son usage parce que le Français permet dans beaucoup de pays, en particulier en Afrique, de dépasser les frontières linguistiques. Mais évidemment ces usages de la langue sont souvent fautifs et pour l’avenir le maintien du français passe par un effort dans l’éducation, un soutien à l’enseignement, un développement de l’action de l’Institut français et du réseau culturel francophone, enfin la formation des journalistes est plus que jamais nécessaire parce que leur usage de la langue a un rôle exemplaire et contagieux.
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