L'édito de Pascal Boniface

La laïcité, une chance pour les musulmans?

Édito
28 juin 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
Entretien avec Olivier Bobineau et Stéphane Lathion, auteurs de Les musulmans, une menace pour la République?, publié en juin 2012, aux éditions Desclée de Brouwer.
 
1/ Vous définissez une typologie en quatres représentation de la laïcité. Pouvez-vous préciser lesquelles ?
Une analyse du texte et du contexte de la promulgation de « la loi de séparation des Églises et de l’État » du 9 décembre 1905, permet de distinguer quatre représentations de la laïcité : laïcité d’opposition, laïcité de proposition, laïcité de différenciation et laïcité de composition.
La laïcité d’opposition peut définir le contexte de l’époque. Certains députés (dont Émile Combes est la figure emblématique) entendent s’opposer au pouvoir de l’Église catholique sur la société civile, en continuant notamment le processus d’étatisation de l’Ecole initié dans les années 1880.
La laïcité de proposition est le cœur de la loi et constitue son article premier. Il s’agit de considérer la laïcité comme le fait d’assurer « la liberté de conscience » et de garantir « le libre exercice des cultes ». Une seule restriction est posée à cette liberté : l’atteinte à l’ordre public (comme l’est du reste toute liberté publique). Autrement dit, la laïcité ne signifie pas comme on le croit souvent la privatisation de la foi, mais bien la possible publicisation du culte, c’est-à-dire la possibilité de pratiquer sa foi en dehors de chez soi, que ce soit dans un édifice ou autour de cet édifice.
La laïcité de différentiation est le fait que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (§1, article 2). L’État ne veut, ni n’a le droit de s’ingérer dans l’exercice des cultes. Il doit respecter leur libre exercice. L’État se différencie et ne s’ingère pas dans la gestion et l’administration des cultes ; de même, les cultes n‘ont pas à s’ingérer dans l’administration de l’Etat.
Enfin, la laïcité de composition est le fait que « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets [des pouvoirs publics] les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels les lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » (§2, article2). Cet article pourrait sembler contradictoire au regard de la laïcité de différenciation. Cependant, la liberté de conscience et le libre exercice du culte constituent les principes fondateurs de la laïcité. Dès lors, la République doit permettre à tous, sans exception aucune, de pratiquer et de vivre sa liberté de conscience.

 
 


2/ Selon vous, la plus grande visibilité des musulmans dans l’espace public marque une volonté de s’intégrer. Pouvez-vous expliquer ceci ?


Pour illustrer ce point de vue, prenons le cas des « carrés spécifiques » dans les cimetières :
Il est vrai que, de prime abord, cette demande peut être perçue comme un refus de s’intégrer, une volonté de rester séparés, même dans la mort. C’est certainement le cas pour certains musulmans. Toutefois, si le malaise de se retrouver proche de non musulmans est si fort, la possibilité existe de faire rapatrier son corps dans son pays d’origine (pour les premières générations) ou de choisir un autre lieu d’ensevelissement pour les nouvelles générations (éventuellement les convertis).
Cependant, si on accepte de modifier quelque peu l’angle d’approche de la question, on peut arriver à une toute autre conclusion : quelle autre meilleure preuve d’intégration existe-t-il que d’accepter d’être enterré, pour l’éternité, sur un territoire si longtemps considéré comme mécréant ? Ne peut-on pas trouver dans ces demandes d’aménagement un désir, une volonté de trouver sa place dans un espace qui est celui de leurs enfants, et sera celui de leurs petits-enfants?
Il ne s’agit pas de naïveté mais plus simplement d’exigence de nuance afin de mieux être en mesure de condamner les comportements provocateurs qui vont utiliser l’appartenance religieuse pour justifier des dérives identitaires. Ainsi favoriserons-nous peut-être un terreau d’auto-critique au sein des communautés musulmanes et l’émergence de voix nouvelles assumant ces héritages identitaires pluriels.

 
 


3/ En quoi la laïcité est une chance pour les musulmans ?


Elle est une chance, d’une part, dans la mesure où la laïcité impose à tous les membres d’une société à prendre conscience de la multiplicité des spiritualités présentes dans les sociétés contemporaines (y compris les sociétés majoritairement musulmanes) et à entendre la neutralité de l’Etat en matière de religion. Une neutralité respectueuse des cultes mais n’en favorisant aucun (en théorie tout au moins). D’autre part, pour les musulmans, cette laïcité qui découle d’un Etat de droit respectueux des individus, garantissant l’égalité des personnes… offre un cadre de réflexion, d’interprétation et de pratique à tout croyant pour vivre sa foi sans les contraintes sociales (Etat, société, famille) encore très fortes dans certains pays musulmans (et certains quartiers de villes européennes). L’opportunité d’un regard critique sur ses sources (Coran et tradition), la prise en compte du contexte européen dans la réflexion théologico-sociale de l’islam contemporain sont autant d’éléments importants et essentiels pour répondre de façon pragmatique et constructive aux interrogations des croyants.
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