L'édito de Pascal Boniface

Tunis, le Caire et les (faux) crédos (de certains) occidentaux

Édito
21 février 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

La révolution tunisienne et la chute de Moubarak en Egypte devraient amener de nombreux responsables et intellectuels occidentaux à remettre en cause nombre de leurs crédos qui ont (mal) guidé la conduite de leur politique internationale. Le monde arabo-musulman était censé être imperméable à la démocratie ; l’islamisme radical, la menace stratégique majeure. De fait, le rêve de transformer la carte du Proche-Orient pour y établir la démocratie, par la guerre, à partir de l’Irak, s’étant transformé en cauchemar, le réalisme conduisait à s’accommoder des régimes répressifs dans la région qui avaient au moins l’avantage d’être des remparts contre l’islamisme.

Toute personne qui remettait en cause ce credo était traitée de naïf, d’idiot utile ou accusé d’être atteint par un syndrome munichois. Toute réflexion critique passait alors pour une complicité, implicite ou explicite, avec les islamistes. On n’était parfois pas loin du terrorisme intellectuel. Car ce credo avait pour principale faille majeure une focalisation excessive sur les effets tout en ignorant les causes. Certes, l’islamisme radical était un défi dangereux pour la sécurité des Occidentaux et de leurs alliés .Mais quel était son terreau ? Pouvait-on croire qu’il s’agissait d’un phénomène naturel ou génétique qui frapperait, sans que l’on ne sache trop pourquoi, le monde arabo-musulman ? Les propagandistes de ce credo taisaient consciencieusement le fait que l’expansion de l’islam radical avait longtemps été soutenue par les Occidentaux afin de contrer le développement du nationalisme arabe progressiste. Surtout, on s’empêchait d’identifier – au motif que comprendre revient à légitimer, et que légitimer signifie excuser – les causes géopolitiques du développement du radicalisme islamique (la persistance du conflit du Proche-Orient, la guerre d’Irak et finalement, une façon de combattre le terrorisme qui n’entrainait que son développement) et les causes politiques (injustices sociales, corruption, absence d’horizon politique, répression etc.).

À lutter contre les effets de l’islamisme radical sans lutter contre ses causes, on crée une politique qui se nourrit de son échec. Cela conduit inévitablement à l’effet inverse de celui escompté initialement en organisant l’expansion de l’islamisme radical, rendant alors encore plus nécessaire la lutte contre lui, créant ainsi un cercle vicieux dont on ne sort pas.

L’autre faille du raisonnement consistait par analogie à attribuer à l’islamisme radical le même rôle que celui joué autrefois par le communisme : celui d’une menace majeure pouvant renverser notre système et mettre fin à nos démocraties. Certes cette présentation avait pour avantage de conserver des budgets militaires importants une fois l’URSS disparue, mais comment comparer, en termes de menaces, Al Qaïda et les milliers d’armes atomiques de l’URSS, les millions de soldats, les milliers de chars et d’avions de combats, du pacte de Varsovie ? Cela a conduit à la même erreur stratégique – et faute morale – que celle commise durant la guerre froide. Au nom de la défense de la démocratie (menacée par le communisme), les Occidentaux ont soutenu un coup d’état en Indonésie – qui fit 500 000 morts –, Mobutu et d’autres satrapes africains, Pinochet, Videla et consorts, et même le régime de l’apartheid. Ceux-ci n’ont en rien aidé à faire chuter le communisme et ont, au contraire, par leur contre-exemple, servi sa propagande. C’est plus par la transparence, la comparaison des systèmes qu’elle a permis et le meilleur respect par le monde occidental des principes qu’il promeut, que celui-ci a triomphé. Penser que Ben Ali et Moubarak constituaient le meilleur des remparts contre l’islamisme était une erreur. D’une certaine façon, l’impopularité de ces régimes due au triptyque corruption/injustices/répression en faisait les sergents recruteurs indirects.

Les Occidentaux ont accepté cela parce que le simple fait de prononcer le mot « islamisme » conduisait à la paralysie intellectuelle. Lyautey avait pour formule « Quand j’entends les talons claquer, je vois les cerveaux se fermer. » Il ne faut plus fermer les cerveaux à la seule évocation de l’islamisme, il faut au contraire les ouvrir. La démocratie, la justice sociale, la transparence, la cohérence dans le respect des principes que l’on dit promouvoir sont la meilleure façon de lutter efficacement contre l’islamisme radical. C’est également la meilleure, la seule voie vers la reconquête de la confiance en l’Occident de populations qui, loin de rejeter nos valeurs comme le psalmodient certains, y adhérent mais nous demandent d’être cohérent dans leur application.
 


 

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