L'édito de Pascal Boniface

Le terrorisme pour les nuls – d’Alain Bauer et Christophe Soulez

Édito
17 juillet 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
Contrairement à ce que le titre de la collection peut laisser penser, Le terrorisme pour les nuls d’Alain Bauer et Christophe Soulez (ed. First, 2014) est un livre sérieux et documenté, véritable petite encyclopédie – mais plaisante à lire – sur le terrorisme.


Pourquoi n’y a-t-il toujours pas d’accord sur la définition du terrorisme ?

En réalité, on est toujours le terroriste ou le résistant de son adversaire ou de son ennemi. La définition fait donc l’objet, y compris en France, de nombreuses circonvolutions et d’une absence totale de consensus international. La position française est assez pragmatique et large : « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;
2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;
3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;
5° Le recel du produit de l’une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;
6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;
7° Les délits d’initié prévus à l’article L. 465-1 du code monétaire et financier.
Dès lors, on pourrait poursuivre sur ces motifs une large partie des conflits durs du travail (séquestration de dirigeants, menaces de versements de produits toxiques, incendies volontaires, sabotages…). Seul le discernement permet de ne pas aller trop loin. Mais d’autres pays n’ont pas ces pudeurs….

Vous évoquez des notions nouvelles de « gangsterrorisme » et « lumpen-terrorisme ». Que recouvrent-elles ?
 
On est passé, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, d’un terrorisme d’Etat ou contrôle par des Etats (essentiellement l’URSS et les Etats-Unis) à une forme beaucoup plus décentralisée (ce qu’on croit devoir appeler Al-Qaïda). En même temps, apparaissent des guérillas dégénérées (les FARC en sont l’exemple le plus emblématiques qui passent de la lutte politique armée avec impôt révolutionnaire à la criminalité sous couvert d’action politique). Puis, commencent à apparaître avec Khaled Khelkhal ou le Groupe Dumont à Roubaix, des individus ayant plus classiquement une culture criminelle se drapant dans l’action terroriste. Mohammed Merah en est l’une des expressions. On assiste donc à une très importante mutation des acteurs du terrorisme, cultivant des engagements variés à la fois gangsterroristes (acteurs politiques dévoyés ou criminels déguisés) et lumpenterroristes (au sens défini par Karl Marx pour le lumpenprolétariat).

Vous avez des réticences sur le concept de « loup solitaire », pourquoi ?
 
Il y en a. Mais les règles de définitions (américaines ou ethnologiques) désignent un animal seul, exclu de la meute, et décidant par lui-même. La plupart des loups solitaires médiatiquement désignés ne le sont pas. Un envoyé spécial d’un média n’est pas un « journaliste solitaire ». Il est simplement éloigné de sa rédaction. A part Theodore Kaczinsky (Unabomber), Anton Breivik ou Abdelhakim Dekhar, tous ceux qui on été présentés comme tels (y compris les frères Tsernaev de Boston, étranges loups solitaires en duo) étaient simplement en mission après une formation et en entraînement à l’action. A défaut de servir à définir des acteurs du terrorisme, le « loup solidaire » sert le plus souvent à excuser la défaillance des Etats. Il faut noter à cet égard les efforts des derniers ministres de l’Intérieur pour éviter la facilité.
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