L'édito de Pascal Boniface

Le paradoxe nord-coréen : son échec fait sa force

Édito
29 septembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface
Une nouvelle succession dynastique se prépare en Corée du Nord. Kim Jong-il, souffrant, est en train d’organiser une passation de pouvoir en faveur de son fils Kim Jong-un. Ce dernier doit être très méritant puisqu’il vient d’être nommé général à tout juste 36 ans. La Corée du Nord a inventé le communisme héréditaire. Kim Jong-il avait déjà succédé à son père Kim Il-sung qui avait pris le pouvoir après la seconde guerre mondiale. La Corée du Nord est certainement le dernier pays réellement totalitaire sur la surface de la planète. Alors qu’elle était légèrement plus développée sur le plan industriel que sa rivale du Sud, lors de la guerre civile de 1950, elle a désormais un retard abyssal. Une grande partie de la population souffre de sous-alimentation. Seules les forces de sécurité en sont épargnées. Il n’y a aucun espace public ou même privé de libre expression. La seule chose fonctionnant en Corée du Nord est la répression en interne et la menace à l’international du fait du programme de missiles et d’armes nucléaires. Le protecteur chinois, lui-même, commence à être lassé de l’attitude et du contre-exemple donné par le régime nord-coréen.

Mais, paradoxalement, cet échec fait la force même du régime nord-coréen. Au-delà des discours, il y a un consensus parmi les puissances extérieures. Elles estiment que pour être inconfortable (surtout d’ailleurs pour la population nord-coréenne), le statu quo peut être géré. Tout changement pourrait apporter des bouleversements insupportables. Il y a deux craintes par rapport au régime nord-coréen : qu’il s’effondre brutalement ou, qu’aux abois, il se lance dans une politique agressive soit à l’égard de la Corée du Sud, soit à l’égard du Japon. Un seul missile sur Tokyo ou Séoul (situé à 40 kilomètres de la frontière) aurait un effet catastrophique sur l’économie de ces deux pays et l’économie asiatique en général. La Corée du Nord ne pourrait que perdre un conflit dans lequel elle se lancerait, mais elle pourrait auparavant créer des dégâts immenses.

L’autre crainte est celle d’un effondrement subit du régime. La Corée du Sud, qui a beau vouloir officiellement la réunification, n’est pas pressée que cela se produise. Elle a vu les difficultés qu’a eues l’Allemagne de l’Ouest à absorber l’Allemagne de l’Est. Pourtant l’écart entre les deux pays était nettement moins important que celui existant entre les deux Corées. Par ailleurs, il y avait quatre riches Allemands de l’Ouest pour un Allemand de l’Est moins bien pourvu ; dans le cas de la Corée, il n’y a que deux Sud-Coréens pour un Nord-Coréen. Une réunification trop rapide pourrait donc porter un coup fatal à l’économie sud-coréenne.

Le Japon n’a pas rétabli une relation normale avec son voisin coréen depuis l’occupation et la seconde guerre mondiale. Il craint le comportement erratique de la Corée du Nord mais il craint également qu’une réunification coréenne, au-delà du poids nouveau que cela pourrait donner à ce pays, se fasse sur une base nationaliste anti-nipponne. Quant aux Américains, la menace nord-coréenne est une justification du maintien d’une présence militaire importante dans la région, qui peut ainsi ne pas être présentée comme directement destinée à contrer la menace chinoise et qui, par ailleurs, est partiellement prise en charge par les Japonais et les Sud-Coréens.

Chacun aspire à une sorte de soft landing du régime nord-coréen. Les puissances extérieures fournissent une aide en échange d’une modération du comportement international de Pyongyang et, à terme, on assiste à l’ouverture progressive du régime. Mais la Corée du Nord sait bien que l’ouverture, une fois commencée, ne peut être contrôlée. Aussi elle n’arrête pas de faire des allers et retours entre acceptation du dialogue et provocations.

Alors va pour le statu quo. On s’accommode tant bien que mal de ces provocations, on essaie de gérer rationnellement un comportement apparemment irrationnel. Ce comportement est-il d’ailleurs aussi irrationnel que cela ? Malgré les échecs répétés, malgré l’état catastrophique dans lequel elle a mis le pays, la dynastie créée par Kim Il-sung à l’issue de la seconde guerre mondiale est toujours au pouvoir ! Exemple unique au monde ! N’ayant rien développé, se moquant du sort de sa population, les sanctions ne l’émeuvent guère. Elle n’a rien à perdre sauf le pouvoir. Son échec est le meilleur argument pour qu’elle s’y maintienne.
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