L'édito de Pascal Boniface

 Boycotter la coupe du monde en Russie ? La proposition de Cohn-Bendit ne résoudra rien

Édito
5 mars 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
 Le 4 mars, sur France Inter, Daniel Cohn-Bendit a proposé une solution pour faire pression sur Poutine à propos de la crise de Crimée : tout simplement menacer de boycotter la Coupe du monde de 2018 qui doit être organisée en Russie.

Il a déclaré : "Il y a une chose qui peut toucher profondément Poutine : dire que les Européens – et tous ceux qu’on arrivera à entrainer – n’iront pas à la Coupe du monde dans quatre ans s’il n’arrête pas. Il faut que Poutine soit seul dans ses stades."

La passion de Daniel Cohn-Bendit pour le football étant de notoriété publique, on ne pourra pas lui reprocher de proposer le boycott d’une compétition sportive par mépris pour le sport, comme c’est le cas de nombreux intellectuels médiatiques et/ou comiques troupiers qui proposent de façon compulsive ce type de mesures dès que l’événement n’est pas organisé dans le monde occidental.

Par ailleurs, Daniel Cohn-Bendit est critique de Poutine depuis son arrivée au pouvoir, il est donc fidèle à lui-même dans cet épisode ukrainien. On peut néanmoins estimer qu’avec une telle proposition, il est plus dans la posture que dans la volonté de faire réellement avancer les choses.

Tout d’abord, faut-il le rappeler, cette coupe du monde aura lieu dans quatre ans et trois mois. Menacer de boycotter à une telle échéance est pour le moins virtuel. D’autre part, Cohn-Bendit connaît trop bien le monde du football pour ne pas être conscient qu’il propose quelque chose qui n’a absolument aucune chance de se réaliser.

Il sait très bien qu’aucune fédération nationale ne le suivra et acceptera de boycotter la compétition, après avoir bataillé pour se qualifier (sauf bien sûr si la crise actuelle dégénérait en guerre ou en massacre de grande échelle.

Et d’ailleurs, s’il était suivi, l’Europe ne risquerait-elle pas de se ridiculiser en s’isolant ? Croit-il que les pays africains, asiatiques ou latino-américains nous suivraient ? Qui aurait l’air malin si une Coupe du monde réunissait tous les pays sauf les Européens (et les États-Unis) ? N’est-ce pas une vision occidentaliste inadéquate et obsolète stratégiquement ? L’époque où les Occidentaux voulaient être les arbitres de l’élégance et dicter aux autres pays leur attitude est révolue.

Ajoutons qu’on voit mal la logique de continuer la plupart des relations économiques ou diplomatiques avec la Russie et de concentrer le boycott sur le domaine sportif. Pourquoi ce seul domaine ?

Si Daniel Cohn-Bendit veut exercer un boycott immédiat dont il n’est pas besoin d’attendre 2018 pour qu’il rentre dans les faits, pourquoi ne pas demander un boycott culturel de la Russie où l’on n’exporterait plus de livres, de films, de chansons ? Il est toujours plus facile de s’attaquer au monde sportif qu’au monde culturel.

Enfin, ce type d’appel, loin de desservir Poutine, ne peut que le satisfaire. Ce type d’attaque ressoude la population russe autour de lui, sans lui faire craindre la moindre menace sur l’organisation de la compétition. Pourquoi dès lors lancer ce type d’appel alors que l’on sait pertinemment qu’il sera sans effet. Pour faire le buzz ? Pour se faire plaisir ?

Poutine est brutal, machiavélien, mais réaliste. Si on veut le contrer, ce n’est pas par des déclarations à l’emporte-pièce jamais suivies d’effet. Dresser des lignes rouges qu’on ne tient pas n’affaiblit pas Poutine mais le renforce.

On connaît Daniel Cohn-Bendit pour la sincérité de ses engagements et ses fulgurances intellectuelles. De temps en temps, il tombe dans la facilité de la complicité avec des intellectuels à haute valeur médiatique et à faible code éthique. Il serait dommage que Cohn-Bendit se BHLise.
Tous les éditos