L'édito de Pascal Boniface

Churchill, seigneur de guerre

Édito
24 mars 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

C’est une biographie impressionnante de 1040 pages avec les annexes que Carlo d’Este a consacré à Churchill (Churchill, seigneur de guerre, éditions Perrin). L’auteur s’est concentré sur un aspect particulier: le rapport de Churchill à la guerre tout au long de sa carrière. On peut donc regretter que les autres aspects de sa vie politique aient été négligés. On aurait aimé voir développée son attitude par rapport à la décolonisation de l’Inde ou son intervention pour permettre à la France d’obtenir un statut de vainqueur de la Seconde guerre mondiale et ses conversations avec Staline sur les sphères d’influence, ou son discours sur la Guerre froide. Carlo d’Este estimant que tout ceci avait déjà été largement traité, s’est concentré sur la relation de Churchill avec la guerre. Chacun connaît la détermination avec laquelle Churchill a résisté à Hitler. Le livre retrace bien les hésitations des Britanniques, les tentations de se tenir à l’écart du conflit. Churchill a réellement fait pencher la balance dans la décision de ne pas accepter l’inacceptable. Une grande partie des élites britanniques était disposée à ne pas s’opposer au nazisme tant la peur croissante du danger communiste et de l’Union soviétique les tétanisait. Après la capitulation française, Lloyd George croyait nécessaire de négocier la paix d’autant que la Grande-Bretagne ne puisse gagner la guerre seule et ne croyant pas dans l’intervention américaine. L’une des questions essentielles posées est de savoir ce qui se serait passé en septembre 39 si la France avait réagi de manière agressive en envahissant l’Allemagne. Carlo d’Este estime qu’à l’époque la France aurait pu emporter la victoire et que les généraux allemands qui méprisaient Hitler se seraient dressés contre lui pour le destituer.

Mais s’il a toujours été inébranlable dans la décision, le livre montre les erreurs stratégiques que Churchill a commis ou failli commettre dans son exécution. Il s’est sans cesse heurté à ses généraux voulant trop souvent précipiter les choses.
Partisan de la fermeté, Churchill était néanmoins sensible. Lors de la bataille d’Omdurman, dans la guerre du Soudan en 1899, les troupes anglaises avaient massacré les troupes du Mahdi. Ce qui passerait aujourd’hui pour un crime de guerre était tout à fait accepté à l’époque.

Churchill rend hommage à la bravoure des Derviches et était bien le seul, côté britannique, à adopter cette attitude. Il écrit : « des fous fanatiques, voilà de quoi les traitent ceux qui les ont vaincus. Pourquoi prendre pour de la folie chez le sauvage ce que nous trouverions sublime de la part de l’homme civilisé et j’ai le cœur bien accroché mais à Omdurman, j’ai été témoin d’un acte d’une grande barbarie et je suis malade de tout ce sang versé. »

Tout au long de la Seconde guerre mondiale, Churchill montre à la fois une volonté inébranlable de vaincre Hitler, d’intensifier la guerre et cependant toujours extrêmement sensible aux pertes humaines, au point de ne pouvoir contenir à plusieurs reprises ses sanglots à l’annonce de pertes tragiques. Il démissionna de l’amirauté pour s’engager dans la guerre des tranchées de la Première guerre mondiale, il partagea le sort des soldats et lorsqu’il recevait des visites de délégations, il les emmenait toujours voir la réalité sordide des conditions dans lesquelles vivaient les soldats.

Il avait un goût prononcé pour la technologie, il avait vite perçu le fort potentiel de l’aviation et ses applications militaires. Il a constamment invité les scientifiques à travailler de façon innovante contre l’avis général de son entourage.

Son rôle plus important après l’évacuation de Dunkerque, que Churchill veilla à ne pas présenter comme une victoire : « on ne gagne pas les guerres avec des évacuations. », fut d’enrayer le défaitisme de la population britannique.

Churchill prit la décision de bombarder la flotte française à Mers el-Kebir, pensait que si Darlan avait amené la quatrième flotte du monde à se battre aux côtés des Britanniques, c’est lui qui serait devenu le chef de la résistance française à la place de De Gaulle. L’auteur raconte comment Churchill accueilli avec soulagement la nouvelle de Pearl Harbour qui, au-delà du drame pour les Américains, signifiait leur entrée en guerre. « Cela présageait un avenir bien sombre mais au moins maintenant nous avions un avenir. » Pour lui, seuls les bombardements fournissent les outils de la victoire. Il insista pour donner la priorité à la royale Air Force convaincu du caractère décisif des bombardements stratégiques. Le livre montre également la perception par Churchill de la disparition de l’Empire et du rôle secondaire laissé au fur et à mesure à l’armée britannique vis-à-vis des Etats-Unis. De quoi rendre nostalgique celui qui déclarait « Plus nous nous étendrons à travers le monde mieux ce sera pour la race humaine» disait-il en 1877, étudiant à Oxford.

Mauvais élève dans sa jeunesse, Churchill chercha toujours la reconnaissance de son père, la mort précoce de ce dernier ne lui permit pas de voir la réussite de son fils.
« No sport » on se rappelle cette explication que Churchill donnait à sa longévité assez exceptionnelle pour quelqu’un qui avait une quasi addiction à l’alcool et qui fumait sans cesse le cigare, quand il fut dans sa jeunesse un sportif accompli, excellent joueur de polo à un point tel que son équipe, qui le jugeait indispensable, le fit jouer alors qu’il avait le bras en écharpe suite à une chute.

Parmi ses plus célèbres notes d’esprit, il y a celle réservée à Lady Astor qui lui déclara : « Si j’étais votre femme Monsieur, je mettrais du poison dans votre café. » Ce à quoi il répondit si j’étais votre époux Madame, je le boirai. »
 


 

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