L'édito de Pascal Boniface

Etat palestinien : un vote motivé par les principes universels, non par le communautarisme

Édito
30 décembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

Même s’il n’a pas de force juridique, le vote à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la reconnaissance de la Palestine a déclenché les passions ce qui prouve, si besoin était, l’impact à nul autre pareil du conflit israélo-palestinien sur la société française.


De nombreux échanges ont eu lieu sur l’impact du vote sur le processus de paix, mais on a également parlé de politique intérieure. Un argument récurrent a été que les parlementaires socialistes ayant voté en faveur de la reconnaissance, l’ont fait pour reconquérir l’électorat des quartiers. Ces derniers, après avoir voté massivement pour Hollande en 2012 auraient déserté le vote socialiste.


Se voulant plus précis, on a également mis en cause un vote communautaire : ce serait pour complaire à l’électorat musulman que les socialistes autrefois favorables à Israël auraient fait un tel choix.


L’argument pourrait faire sourire ; il laisse plutôt pantois parce qu’il a été mis en avant par les organisations communautaires juives françaises et repris par les parlementaires qui ont refusé de voter oui. Y aurait-il, comme pour le cholestérol, un bon communautarisme et un mauvais ?


Car très franchement, comment ne pas voir que ceux qui ont refusé de voter pour la reconnaissance de la Palestine l’ont fait avant tout pour des raisons de politique intérieure et notamment pour conserver de bonnes relations avec les organisations communautaires juives ?


Le conflit est bel et bien importé depuis longtemps en France et de nombreux parlementaires font sur ce sujet depuis longtemps de la politique extérieure avec des motivations de politique intérieure.Il est vrai que la plupart des musulmans français sont sensibles au sort des Palestiniens, tout comme les juifs sont solidaires majoritairement d’Israël.


Les musulmans sont certes plus nombreux mais leurs organisations sont plus divisées. Socialement, médiatiquement et politiquement, ils pèsent traditionnellement moins mais ils commencent à se faire plus entendre.


En tous les cas, il n’y a pas d’exemple de responsables politiques, d’intellectuels, ou de journalistes qui n’ont jamais eu le moindre problème professionnel pour avoir soutenu Israël. À l’inverse, le soutien aux Palestiniens et/ou la critique du gouvernement israélien a valu des déboires à pas mal de ceux qui ont essayé.


Pour les instances communautaires musulmanes, le soutien à la cause palestinienne est une cause parmi de très nombreuses autres. Pour les instances communautaires juives, le soutien à Israël est devenu la priorité des priorités parfois de façon plus importante que la lutte contre l’antisémitisme.


Jusqu’en 1967, les juifs français étaient réticents à s’exprimer sur le conflit israélo-arabe.


Jusqu’à une période récente les arabes musulmans qui voulaient réussir en politique avaient intégré qu’il ne fallait pas s’exprimer sur ce conflit, sauf à prendre le risque de voir peser sur eux le soupçon disqualifiant de l’antisémitisme.


Cette crainte existe toujours pour certains musulmans : le soutien inconditionnel à Israël est même une voie expresse pour la promotion médiatique de certains d’entre eux (Cf. Chalghoumi). Mais peu à peu, les réticences tombent parce que de nombreux musulmans estiment avoir les mêmes droits que les autres Français, dont celui de s’exprimer librement sur ce conflit. La non survenance d’un accord de paix prolonge l’occupation sur fond de répression avec des pics de violence comme la guerre de Gaza de cet été.


Cela paraît de plus en plus insupportable.


Car il y a bien un occupant et un occupé il est difficile de les mettre sur le même plan. Et les arguments pour exonérer la puissance occupante de l’absence de paix paraissent de moins en moins pertinents.


La conscience de l’injustice faite à un peuple n’est pas limitée à une communauté. La plupart des jeunes Français ont ce sentiment.


Pierre Lellouche dans l’émission d’Alain Finkielkraut samedi sur France Culture a ressorti ma note au parti socialiste en 2001 pour m’accuser d’avoir favorisé le communautarisme. Venant de sa part, c’est comique. C’est un peu comme si Thomas Thévenoud me reprochait de favoriser la fraude fiscale.


Dans ma note à laquelle je ne retirerais pas une ligne aujourd’hui, je disais justement que si la communauté juive misait sur son poids électoral pour défendre le gouvernement israélien, elle serait perdante à terme car la communauté arabe s’organisera également et j’ajoutais « Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels et non pas le poids de chaque communauté ».


Et c’est là que le bât blesse car les principes universels sont peu compatibles avec l’occupation d’un peuple par un autre.


Et que ceux qui ont voulu jouer sur le poids des communautés voient le rapport de force politique et médiatique se modifier même s’il leur reste globalement favorable.


Ceux qui mettent en avant l’impact des communautaires sur le vote en faveur de la Palestine ne luttent pas contre le communautarisme. Ils se désespèrent en fait d’en avoir perdu le monopole.

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