L'édito de Pascal Boniface

Procès des Pussy Riot : un cadeau pour le Kremlin et Poutine ?

Édito
14 septembre 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
L’affaire des Pussy Riot a de nouveau suscité des commentaires habituels dans les médias français sur la nature répressive du régime Poutine faisant face à une jeunesse éprise de liberté. Il est certain que le Kremlin est inquiet face à la montée des contestations. Il est douteux que celle des Pussy Riot fasse peser sur lui une véritable menace. L’agitation médiatique autour de cette affaire, la façon dont la presse internationale et la presse étrangère en ont rendu compte, n’ont pas eu pour effet de créer une solidarité autour d’elles en Russie, bien au contraire. Comme le déclarait au "International Herald tribune" le 5 septembre dernier le professeur Daniel Treisman (UCLA), l’affaire des Pussy Riot a été un cadeau pour le Kremlin, car elle a créé un fossé entre le mouvement pro-démocratique et la majorité de la population. 47% des Russes considéraient qu’une peine de sept ans de prison pour les Pussy Riot était appropriée, 42% la considérant comme excessive et 10% seulement s’opposant à toute punition. Cependant, le Center for strategic research de Moscou vient de conduire une étude portant sur soixante-deux groupes de citoyens russes habitant dans seize régions différentes. Elle vient remettre en question l’idée selon laquelle l’opposition à Poutine est uniquement concentrée parmi l’élite urbaine de Moscou et Saint-Pétersbourg. Il y a une lassitude au niveau national par rapport à Poutine dont la crédibilité s’est effritée. Une demande pour le renouvellement de génération des décideurs politiques existe. Les citoyens de la Russie profonde n’ont pas d’appétit particulier pour les démonstrations bruyantes de Moscou ou Saint-Pétersbourg, sans pour autant être totalement satisfaits du système politique russe actuel. Mais leurs revendications portent plutôt sur des services publics effectifs, une police et des élus non corrompus. Les demandes sont relativement non idéologiques, et beaucoup plus sensibles aux situations concrètes et locales qui portent sur la sécurité, l’éducation, le logement, la santé, la justice ordinaire. La priorité du Kremlin est d’empêcher une jonction entre les demandes de plus grandes libertés – démocratiques – des élites urbaines et celle de la mise en place de systèmes efficaces pour améliorer la vie quotidienne de la part de la majorité des citoyens. La grande chance de Poutine c’est que l’opposition soit divisée entre les libéraux, des ultranationalistes réactionnaires et des communistes demeurant staliniens. L’alliance entre ces trois blocs est impossible. Ils n’ont rien en commun. Cette division et la survivance de partis hérités du passé (et plus portés par la nostalgie que par un désir d’avenir) sont le meilleur atout pour le Kremlin. Mais, malgré les difficultés et une législation défavorable, une société civile russe est en train d’émerger. Il y a des milliers d’associations et d’ONG qui se sont créées et qui regroupent plus de vingt millions de personnes. La révolution technologique n’est pas sans effet politique, aujourd’hui 60% des foyers russes, dont 40% en région, ont des ordinateurs personnels, à comparer avec un niveau de 25% il y a six ans. La majorité de ces citoyens ne devrait guère montrer d’appétit pour les ultra-nationalistes et les communistes. Paradoxalement, ce sont les succès sur le plan économique de Poutine qui ont permis l’émergence de cette classe moyenne consommatrice de NTIC qui sera à la pointe de la contestation.
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