L'édito de Pascal Boniface

3 questions à Ahmedou Ould-Abdallah

Édito
24 février 2016
Le point de vue de Pascal Boniface
Ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, Ahmedou OULD-ABDALLAH est président du Centre pour la stratégie et la sécurité dans le Sahara Sahel (Centre4s).

Ne pensez-vous pas que parler autant du terrorisme équivaut à tomber dans le piège tendu par les terroristes ?

Parfaitement.
Les terroristes ont pour première ambition la communication gratuite, dans le but de remplir deux objectifs : recevoir plus de financements de leurs sponsors et devenir assez populaire pour recruter davantage. Plus on en parle, plus on les aide à être mieux connus. C’est une promotion pour eux. De plus, un autre effet pervers est de terroriser davantage les populations et les sociétés financières.

Comment expliquer que la plupart des médias et des responsables politiques mettent néanmoins en avant cette menace ?

Ils ne le font pas par ignorance mais pour leur propre promotion sur le plan intérieur et montrer qu’ils sont des « durs ». Mais, je pense qu’ils doivent être de plus en plus conscients du danger de cette promotion gratuite qui fait monter le prix des otages. Par exemple, en Somalie, des otages pouvaient être libérés pour 15 000 ou 20 000 dollars qu’on donnait à la communauté locale. Jusqu’à l’arrivée de la publicité. Alors, les pirates ont commencé, en décembre 2007, à demander 950 000 dollars.
On a tendance à sous-estimer les terroristes et leurs réseaux et relais qui lisent la presse internationale. Dans le Sahel, les « radicaux », comme je préfère les nommer, sont surtout des francophones et suivent attentivement l’actualité de la presse française, guettant une éventuelle publicité dans les journaux.

Quelles solutions peuvent être mises en œuvre dans la région Sahel pour faire diminuer ces réseaux djihadistes ?

D’abord, Il faut tirer les leçons du passé. Pendant la guerre froide, des démocraties en lutte contre le communisme ont soutenu des régimes « peu acceptables ». Ces régimes ont, après la chute du communisme, conduit aux situations difficiles auxquelles nous devons actuellement faire face en République démocratique du Congo, République centrafricaine, etc. On en connait le triste résultat et les graves difficultés. La lutte contre le communisme ne doit pas aboutir à soutenir les yeux fermés des régimes peu recommandables.

Ensuite, Il faut aider certains pays à être plus professionnel au niveau de l’état civil, de la police et des renseignements pour qu’ils soient au service de la sécurité et pas à l’écoute des opposants ou des hommes d’affaire. Si le colportage de rumeurs pouvait aider, les systèmes soviétique, libyen et irakien ne se seraient pas effondrés.

Enfin, il faut s’attaquer aux problèmes sérieux que l’on refuse de traiter comme le problème démographique. Il est nécessaire d’assumer nos responsabilités dans la croissance démographique et l’urbanisation rapide. Il n’y a plus de villes intermédiaires en Afrique et le monde rural est déserté au profit des capitales qui n’ont d’infrastructures ni sanitaires, ni sécuritaires, ni scolaires.

Pour terminer, je dirais qu’on a certes besoin d’une coopération internationale et régionale mais la première responsabilité est nationale. Et cette fuite en avant qui consiste à toujours rejeter la responsabilité sur les autres ne me parait pas productive.
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