L'édito de Pascal Boniface

Syrie. La France pourrait entrer en guerre : ce que l’histoire nous dit

Édito
2 septembre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Au moment où la France semble se préparer à participer à une intervention militaire extérieure dans le cadre d’une coalition internationale contre la Syrie, quelle a été son attitude dans les opérations précédentes comparables et pour quels résultats ?
 
1990-1991 : guerre du Golfe

 
L’Irak envahit et annexe le Koweït. C’est la première fois depuis 1945 qu’une violation du droit international de ce type a lieu. L’URSS est affaiblie mais existe encore, et est l’alliée de l’Irak. Mikhail Gorbatchev fait le choix de la sécurité collective et la mise en place d’un nouvel ordre mondial. Il abandonne son allié au profit du respect du droit international.
 
Le Conseil de sécurité décide d’une action militaire contre l’Irak si celui-ci ne s’est pas retiré du Koweït au 15 janvier 1991. C’est la première fois que le chapitre sept de la Charte de l’ONU est employé tel que cela avait été prévu dans la Charte (en 1950 pour la guerre de Corée, le Conseil de sécurité avait pu prendre une décision parce que l’Union soviétique pratiquait la politique de la chaise vide).
 
Mitterrand décide que la France, non seulement vote la résolution, mais participe aux opérations militaires contre l’Irak, pourtant lié à l’Hexagone. Il estime que son statut de membre permanent du Conseil de sécurité serait mis en danger en cas de non-participation à l’opération. Malgré un climat d’angoisse, les Français soutiennent l’opération. L’Irak se retire du Koweït et sera sanctionné mais les troupes de la coalition s’arrêtent à la frontière irakienne, conformément au mandat.
 
Gorbatchev ne sera pas récompensé de son action. Il voulait fonder un nouvel ordre international. Les États-Unis estiment qu’il a donné son feu vert parce qu’il était en position de faiblesse. Moscou sera traité non en partenaire mais en vaincu de la Guerre froide. Cela laissera des traces.
 
1999 : guerre du Kosovo

 
Milosevic réprime les Kosovars qui demandent l’indépendance. Si ces derniers commettent également des violences armées, Milosevic, perçu comme multirécidiviste de l’épuration ethnique, est considéré comme le coupable principal par les Occidentaux. Moscou comme Pékin s’opposent à une intervention militaire. L’Europe, après le sommet de Saint-Malo, veut montrer sa crédibilité en matière de défense. L’OTAN fête son 50e anniversaire, dix ans après la chute du Mur, elle veut montrer qu’elle a encore un rôle à jouer en Europe. Les pays de l’OTAN, unanimes, décident d’opérations militaires aériennes pour vaincre Milosevic malgré l’absence d’un feu vert du Conseil de sécurité.
 
Les bombardements vont durer 78 jours. Les pays de l’OTAN restent soudés, Milosevic cède. L’opération est restée populaire en Europe, du fait de la diabolisation de Milosevic. Mais cette guerre présentée comme une guerre pour la morale a surtout été une guerre de test de crédibilité pour les Occidentaux. La France a privilégié la solidarité européenne et atlantique. Présentée comme légitime, la guerre était néanmoins illégale.
 
2001 : le 11-Septembre

 
Opération contre les Talibans qui n’ont pas voulu livrer Ben Laden, responsable des attentats du 11 septembre à New York. Les États-Unis sont considérés comme en état de légitime défense. Les Talibans sont rapidement renversés. L’opération est populaire. De nombreux pays participent à une force de stabilisation après le renversement des Talibans. Mais la guerre s’enlise. En 2012, François Hollande annonce une accélération du calendrier de retrait des troupes françaises.
 
2003 : Irak

 
Les Américains dénoncent la possession par Saddam Hussein d’armes de destruction massive. Une vaste opération de manipulation de l’opinion est montée. En l’absence de preuves, la France s’oppose à la guerre, estimant qu’elle va non pas combattre, mais développer le terrorisme et déstabiliser encore la région. Les États-Unis échouent à convaincre le Conseil de sécurité où seuls trois autres pays les soutiennent dans la décision de recourir à la guerre.
 
La France jouit d’un immense prestige pour oser tenir tête à l’hyper puissance américaine. C’est pour elle un pic de popularité internationale. La guerre sera rapidement gagnée, mais les prévisions les plus catastrophiques se révèlent exactes.La France, malgré la diabolisation dont elle a été l’objet aux États-Unis n’a pas voulu tirer avantage de la justesse de ses positions et va relativement entrer dans le rang après 2005.
 
2011 : Libye

 
Kadhafi annonce un bain de sang contre ses opposants, la ville de Benghazi et particulièrement visée. Le Conseil de sécurité de l’ONU, dans la résolution 1973, a adopté le principe de "responsabilité de protéger". Il s’agit d’empêcher un massacre annoncé sur Benghazi. La Russie et la Chine, hostiles à une intervention militaire, s’abstiennent sur cette résolution ; leur absence de veto constitue un feu vert tacite.
 
La France et la Grande-Bretagne, aidées par le Qatar, les Émirats et surtout les États-Unis, arrêtent les chars de Kadhafi qui progressaient autour de Benghazi et très rapidement changent la mission. Il est décidé que la population libyenne sera en danger tant que Kadhafi ne sera pas renversé : on en revient donc à une mission de changement de régime. Les Chinois, et plus encore les Russes, s’estiment floués, ce qui va en grande partie expliquer le blocage auquel on assiste sur la Syrie. Kadhafi est renversé mais la responsabilité de protéger est gravement atteinte.
 
Janvier 2013 : Mali

 
Le président malien appel au secours la France face à une poussée djihadiste qui menace Bamako.
 
Des résolutions votées par la Russie avaient autorisé une intervention pour former l’armée malienne. On peut dire qu’il y a donc juridiquement un double feu vert. François Hollande prend la décision d’intervenir. L’opération est populaire en France. Elle sera réussie et aboutira à la tenue d’élections présidentielles en juillet 2013 au Mali. Opération donc légale, légitime et couronnée de succès.
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