L'édito de Pascal Boniface

« Pour en finir avec l’affaire Al Dura », questions à Guillaume Weill-Raynal

Édito
24 octobre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Depuis bientôt 10 ans, Guillaume Weill-Raynal livre un minutieux travail sur la désinformation notamment sur le racisme, l’antisémitisme et les conséquences du conflit du Proche-Orient en France. Il avait publié en 2005 une démonstration implacable qui remettait en cause la thèse du « nouvel antisémitisme » et sa montée inexorable en France : Une haine imaginaire contre-enquête sur le « nouvel antisémitisme »1 . Il publiait Les nouveaux désinformateurs 2 en 2007. Ses contributions, notamment dans Rue89, sont très suivies.
 
Il publie aujourd’hui aux Éditions du Cygne Pour en finir avec l’affaire Al Dura , où il démonte le caractère irrationnel des accusations portées à l’égard de Charles Enderlin pour son reportage du 30 septembre 2000.
 

Comment expliquer, alors que les faits sont établis, que l’affaire Al Dura ait pu prendre une telle importance non seulement en France mais aux États-Unis et dans d’autres pays ?


Parce que la diffusion du reportage sur la mort de Mohamed Al-Dura constituait une image absolument intolérable pour certains, en ce qu’elle coïncidait avec une réalité que l’on s’acharnait depuis des années à nier coûte que coûte. Ce reportage apportait en effet un démenti cinglant aux stéréotypes de la communication israélienne, selon lesquels les victimes civiles palestiniennes du conflit, n’étaient jamais totalement innocentes. Dans les années 1980-1990, lors de la première intifada, on entendait comme un refrain que les enfants tués par Tsahal – l’armée la plus morale du monde – étaient toujours manipulés par des adultes qui les incitaient à jeter des pierres sur les soldats israéliens. Le reportage de France 2 montrait un enfant absolument innocent. Il fallait donc dissocier cette image intolérable de la réalité qu’elle révélait. La solution s’imposait d’elle-même : ce n’était qu’une image, au sens théâtral du terme, c’est-à-dire une pure mise en scène, un reportage truqué…
 

A quel besoin cela correspond-il ?


Ce qui caractérise le conflit israélo-palestinien, c’est sa dimension irrationnelle. Une dimension quasi-religieuse, échappant à tout raisonnement politique. Pour certains, la cause d’Israël est absolument sacrée. Les Palestiniens ne leur apparaissent que comme les descendants d’Amalek, l’ennemi juré du peuple juif selon la bible, un être diabolique, équivalent du Satan chrétien, qui transcende les siècles et les générations, depuis l’Antiquité jusqu’à… la Seconde guerre mondiale. A travers ce prisme, la moindre critique de la politique israélienne devient sacrilège. Même un discours non polémique, un simple reportage, une information purement factuelle mais défavorable à Israël est perçue comme une manifestation scandaleuse de l’antisémitisme le plus radical. Et par un vertigineux raccourci, un enfant victime innocente devient ainsi un irréductible ennemi du peuple juif, en tant que complice de la mise en scène du vrai-faux spectacle de sa propre mort. 
 

Comment expliquer que non seulement la presse communautaire mais également les institutions officielles juives ou des intellectuels comme Alain Finkielkraut aient pu porter du crédit aux thèses pour le moins fantaisistes de Karsenty ?


Précisément pour les raisons que je viens de vous expliquer. Finkielkraut a abdiqué tous sens critique en souscrivant sans la moindre réserve à la thèse burlesque d’une mise en scène de la mort de Mohamed Al Dura. Pierre-André Taguieff a vu dans le reportage de France 2 la résurgence de l’accusation moyenâgeuse de « crime rituel », portée autrefois contre les juifs. La dimension religieuse du conflit empêche tout simplement de réfléchir. Elle provoque comme une sidération de la pensée. Ça ne date pas d’hier. Au lendemain de la guerre des Six jours, d’éminents philosophes de la communauté juive analysaient de manière très sérieuse la victoire éclair de Tsahal comme une « entrée dans les temps pré-messianiques ».
 

Comment expliquez-vous que personne n’ait pris la peine de retracer le parcours de Philippe Karsenty avant de reprendre ses accusations ?

Toujours pour les mêmes raisons. Karsenty avait partie gagnée d’avance. Il n’a fait que répondre à une attente de son public. C’est le maître-mot de toute désinformation : « Dites-leur ce qu’ils veulent entendre ». Je vous l’ai dit, l’image de la mort de Mohamed Al Dura relevait du sacrilège. Elle était véritablement insupportable. Il suffisait à n’importe quel imposteur de prendre la pose du chevalier blanc. Le mensonge devenait vérité. Et sa crédibilité devenait inattaquable.
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[1] Editions Armand Colin, 2005, 237 p.
[2] Editions Armand Colin, 2007, 223 p.
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