L'édito de Pascal Boniface

 Knysna. Au cœur du désastre des Bleus en Afrique du Sud, Trois questions à François Manardo

Édito
16 mai 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
François Manardo était le chef de presse de l’équipe de France de football présent à Knysna en 2010.

1/ Pensez-vous que la page Knysna est définitivement tournée ?
 

Définitivement, c’est une certitude. Toutefois, je distingue aujourd’hui nettement la « cicatrice » de la « marque de l’Histoire » de l’équipe de France. « Knysna », j’en suis sûr, en glissant du nom propre au nom commun, désignera bientôt une catastrophe, la dimension du chaos dans un événement lié au monde du sport. C’est pourquoi comprendre « Knysna », c’est regarder les faits tels qu’ils se sont produits, et le jeu des acteurs majeurs liés – pour certains, malgré eux – à cette chute inexorable.

La FFF a évolué (réforme des statuts et du mode de gouvernance ; rattachement direct de la gestion des Bleus au Président de la FFF) et les hommes aujourd’hui en place sont une garantie, je le pense, face au risque d’un nouvel accident industriel et moral de cette envergure. En ce sens, la page est tournée. Reste une interrogation : en dépit de ces réformes absolument nécessaires, le système pourra-t-il résister aux hommes à venir qui, avec le temps et l’oubli, sont parfois amenés à faire bégayer l’Histoire ?

Je suis résolument optimiste de nature et je me convaincs que l’expérience de Knysna marque une limite que tous respecteront.
 

2/ Vous décrivez un Raymond Domenech qui se complaît dans l’hostilité qu’il déclenche contre lui …

 

Effectivement, et après avoir ouvert les yeux sur sa personne, j’ai mieux mesuré cette disposition qui est la sienne à se nourrir du conflit. C’est assez unique. Je n’avais jamais rencontré une personne aussi sensible à ce besoin de provoquer l’hostilité, et de parvenir à y puiser des forces !

Raymond Domenech – je ne parle là que du personnage public, évidemment – est sans doute peu empathique. Dans ce milieu populaire qu’est le football et au poste qui fut le sien de sélectionneur des Bleus, cela a pu se révéler être un handicap sur la durée. En revanche, cette absence d’empathie l’a sans doute aidé à mieux maîtriser cette énergie négative qu’il s’est employé à provoquer parfois.

Mais le prix à payer est extrêmement lourd. Pour lui comme pour ses collaborateurs. Car j’ai la prétention de croire que dans une immense majorité, nous ne fonctionnons pas comme ça, et que ce registre – l’hostilité voulue et assumée – est aux antipodes de ce à quoi doit ressembler le lien entre la sélection nationale, les médias et le grand public. Pour les quelques éléments qui eurent la chance de pouvoir tourner la page en poursuivant l’aventure avec Laurent Blanc, la cicatrice s’est sans doute plus vite refermée ; pour les autres, tel que moi, je crois que ça a mis bien plus de temps.

J’ignore aujourd’hui si l’expérience de Knysna lui a permis de réaliser à quel point ce goût de la provocation et de l’hostilité est dévastateur. A la lecture de son livre, il y a deux ans, j’en doute encore. Trop d’imprécisions sur certains épisodes pourtant clé, trop « d’oublis » et certaines vérités qui mériteraient d’être plongés dans le sérum qui porte le même nom…
 

3/ Votre livre comporte une réhabilitation de Patrice Evra pourtant guère épargné par les journalistes. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Patrice Evra est l’exemple parfait du mec au mauvais endroit et au mauvais moment. Dans le contexte qui était le nôtre en 2010, ce brassard était un poison ! N’importe quel autre joueur se serait fourvoyé dans cette affaire. Evra, je le dis ici avec force, aurait été un excellent capitaine des Bleus s’il s’était retrouvé impliqué dans un management « classique » d’un groupe d’athlètes. Patrice est quelqu’un de responsable, soucieux des symboles que véhicule le maillot tricolore. C’est également un leader de vestiaire, un homme franc et direct. C’est, enfin, un « guerrier », dans le bon sens du terme. Dans un sport collectif, il possède cette générosité qui l’amène à se dépasser et à vouloir immédiatement entraîner les autres dans ce sillage.

On ne peut pas être capitaine de Manchester United avec un manager tel que Ferguson par hasard…

Malheureusement, cet amour pour l’équipe de France – pour la France ! – et son dévouement si fort à ce maillot, dans le climat qui était le nôtre à Knysna, l’ont dominé. Au final, il a été balayé par ce cours de l’Histoire qui nous a rattrapé et heurté de plein fouet. Et en tant que capitaine, il fut le premier exposé et désigné coupable. Ce qu’il assuma parfaitement, je le sais, et même s’il n’en fit pas la publicité.

Beaucoup d’autres joueurs présents à cette période n’auraient sans doute pas affiché un tel degré d’investissement que celui d’Evra. Vous comprendrez donc plus aisément la terrible colère qui fut la sienne, lorsqu’il s’aperçut que le sélectionneur le priva honteusement de parole lors de la conférence de presse à Bloemfontein, le lundi 21 juin…



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François Manardo, Knysna. Au cœur du désastre des Bleus en Afrique du Sud,  Edition les Arènes, 2014, 280 p.
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