L'édito de Pascal Boniface

Tennis et mondialisation

Édito
3 juin 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Les internationaux de France de Roland-Garros ont été retransmis l’an dernier dans 175 pays, représentant une audience potentielle de 3 milliards de téléspectateurs. C’est l’événement sportif français le plus regardé dans le monde, surpassant même le Tour de France.

Federer, Nadal et les sœurs Williams sont bien sûr les icônes du « village » de Roland-Garros. Ils le sont également d’un autre village, celui-ci global, comme on peut qualifier la planète à l’heure de la mondialisation. Selon le site Internet buzzle.com c’est le quatrième sport le plus populaire dans le monde, avec 1 milliard d’adeptes, seul le football (3,5 milliards), le cricket (2,5 milliards) et le hockey sur gazon (2 milliards) font mieux – on voit là le poids démographique de l’Asie où ces deux derniers sports sont enracinés.

C’est la contraction du temps et de l’espace qui explique la large diffusion du tennis, comme pour les autres symboles de la mondialisation. L’Open d’Australie, créé en 1905, pouvait difficilement accueillir des joueurs étrangers lorsqu’il fallait trois semaines de bateaux pour s’y rendre depuis l’Europe. Jusqu’à la fin des années 70, il est donc resté aux mains de vainqueurs nationaux. Le développement du transport aérien permet désormais la présence des meilleurs joueurs et joueuses dans les principaux tournois. La télévision a créé un court immense dans lequel des centaines de millions de spectateurs peuvent prendre place simultanément. Il n’y a donc plus de limites physiques qui empêcheraient les joueurs ou les spectateurs de participer. Le tennis est parti à la conquête du monde mais par des moyens pacifiques.

La coupe Davis qui ne se disputait qu’entre six équipes au début du XXe siècle, mettait en compétition 50 nations en 1970, 100 dans les années 90 et plus de 130 aujourd’hui. Mais Il y a encore des terres à conquérir. La multipolarisation du tennis reste également à faire. La répartition de la puissance se fait toujours dans un cercle relativement fermé.

Le tennis est toujours avant tout pratiqué en Europe, en Amérique, en Océanie, bref dans le monde occidental, ces trois régions du monde fournissant l’essentiel des vainqueurs des grands tournois depuis leur création. Si les pays du Golfe organisent, grâce à leurs ressources, des tournois au niveau désormais élevé, les plus prestigieux, notamment ceux du Grand Chelem, restent situés dans le monde blanc. Le tennis africain est encore peu développé du fait de la pauvreté du continent et de l’absence d’infrastructures qui empêchent l’émergence de grands talents. Il faut un minimum d’équipements pour jouer au tennis, plus difficiles à acquérir que ceux exigés pour courir ou jouer au football. Le leadership, autrefois américain, français, australien ou anglais est désormais assumé par la Suisse, l’Espagne, l’Argentine, la Russie ou la Serbie. Le monde occidental a perdu le monopole de la puissance stratégique et économique, mais il le conserve au tennis : sur les 100 premiers joueurs mondiaux, 74 viennent du continent européen, 19 d’Amérique, 5 d’Asie et un seulement d’Afrique ou d’Océanie. On retrouve le même phénomène pour les femmes avec 74 joueuses venant d’Europe dans les 100 premières mondiales, 14 d’Asie, 11 d’Amérique et une d’Afrique.

Cette hiérarchie correspond à la situation géopolitique du monde avant la Première guerre mondiale, lorsque l’Europe avait achevé la colonisation et dominait la planète. Elle n’est pas en adéquation avec l’équilibre actuel des forces économiques et stratégiques.
Ce qui va permettre au tennis à l’avenir de parachever sa conquête du monde, c’est l’élévation du niveau de vie pour un grand nombre de personnes dans les pays émergents, qui représentent plusieurs dizaines de nations.
Mais cela prendra encore du temps, car les pratiques culturelles des peuples sont plus lentes à évoluer que les économies nationales.
Article paru dans "Sans limite", la revue de Roland Garros 2011


 

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