L'édito de Pascal Boniface

L’Europe peut-elle faire face à la mondialisation ? 3 questions à Sylvie Matelly et Bastien Nivet

Édito
29 septembre 2015
Le point de vue de Pascal Boniface

Sylvie MATELLY est directrice de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), en charge de l’économie internationale et de l’économie de la défense. Elle est également professeur associée à l’École de management Léonard de Vinci.
Bastien NIVET est professeur associé et coordinateur de la recherche Lecturer-Researcher and Research coordinator, à l’École de management Léonard de Vinci (EMLV/CEREM) et chercheur associé à l’IRIS.
Ils répondent à mes questions à l’occasion de leur dernier ouvrage « L’Europe peut-elle faire face à la mondialisation », paru à La Documentation française.


Pourquoi écrivez-vous que l’euro a été plus un choix politique qu’économique ?


Un certain nombre d’économistes d’inspirations différentes (Paul Krugman, Milton Friedman…) n’avaient dès le départ pas caché leurs doutes quant à la réussite de la monnaie unique européenne. Friedman pensait d’ailleurs que l’euro ne survivrait pas plus de dix ans. Pour ces économistes, instaurer une monnaie unique entre des Etats différents ayant leur propre souveraineté, des politiques économiques nationales, une faible mobilité des personnes et des taux d’activité et d’inflation différents était très risqué.
C’est Robert Mundell qui avait développé en 1961 la théorie des zones monétaires optimales qui inspire ces arguments, et définissait des critères nécessaires à l’instauration d’une monnaie unique. Pour Paul Krugman plus récemment, la conséquence de ces différences entre les pays européens est de créer des déséquilibres (concentration des capitaux et de l’activité économique dans les régions les plus compétitives et prospères au détriment des autres) dont les effets pervers apparaîtront au moment des crises, amplifiant celles-ci. Les moins réticents à la mise en place de l’euro préconisaient malgré tout l’instauration de critères de convergence des économies européennes afin de limiter ces effets : convergence de l’inflation, des déficits et dette publique… Le respect de ces critères devait être une condition indispensable pour participer à l’euro.
Malgré toutes ces réserves, les Etats européens ont choisi de faire l’euro, et seule la Grèce a été recalée lors du premier examen, avant d’être acceptée à entrer dans la zone euro, deux ans plus tard.
Les motifs en étaient de fait beaucoup plus politiques qu’économiques. Au début des années 1990, l’Union européenne mise en place par le traité de Maastricht de 1992 cherche à donner un nouveau souffle à la construction européenne alors que la guerre froide se termine : le mur tombe permettant la réunification de l’Allemagne et, après des décennies de division, une nouvelle phase d’approfondissement et d’extension de la stabilité et de la paix sur le continent semble possible. La monnaie est alors un symbole ; celui des crises monétaires historiques ayant provoqué les pires moments de l’histoire européenne, de guerre des monnaies qui accompagnaient d’autres conflits entre les Européens et d’instabilité, spéculation, inflation qui alimentaient régulièrement les périodes de croissance ou de crise des pays européens. Elle est aussi le symbole et l’outil d’une puissance allemande potentiellement recouvrée que certains redoutent, notamment en France. Créer une monnaie unique était un acte politique permettant de conforter l’ancrage européen de l’Allemagne, et de renforcer l’interdépendance entre Etats membres.


Selon vous la zone euro est devenue un acteur systémique de l’économie mondiale : qu’est-ce que cela signifie?


Cela signifie que l’euro est un instrument financier qui compte aujourd’hui sur les marchés mondiaux. Une sortie de la Grèce de la zone euro peut paraître dans l’absolu insignifiante, eu égard au poids de ce pays dans l’économie européenne et mondiale. Cette perspective affole pourtant les marchés pour plusieurs raisons : l’effet domino qui pourrait affaiblir toutes les économies de la zone, dont quatre d’entre elles (Allemagne, France, Italie et Espagne) figurent dans le « top 15 » des plus grandes économies de la planète… ; l’augmentation des taux d’intérêt en découlerait et pénaliserait l’économie européenne dans son ensemble ; la fin de l’euro, un scénario catastrophe qui bloquerait probablement tout paiement pendant plusieurs jours en Europe.
Enfin, nombre de banques européennes de taille mondiale sont aujourd’hui considérées comme systémiques. Cela signifie que si elles font faillites, l’ensemble de l’économie mondiale peut en pâtir à l’image de la faillite de Lehman Brothers en 2008. Or, ces banques sont très exposées en Europe…


Vous semblez optimiste sur le poids de l’Europe comme acteur mondial : pourquoi ?


Optimiste est peut-être un peu fort. L’argument que nous défendons est celui qui part du constat que les pays de l’Union européenne (UE) disposent de multiples atouts dans la mondialisation et en comparaison d’autres régions du monde : un volume de richesses inégalé, un commerce international extra-européen majeur et diversifié, un niveau de formations et de compétences de sa main d’œuvre très élevé, des entreprises de taille mondiale dominant les marchés, une innovation dynamique, un modèle social unique, etc. Certes, les problèmes sont eux-aussi nombreux (croissance faible, vieillissement de la population, chômage des jeunes, inégalités croissantes, désindustrialisation…). Pour autant, la perception de ces problèmes est souvent surdimensionnée, handicapant les initiatives et la recherche de solutions. La problématique des réfugiés en est une illustration aujourd’hui. Beaucoup paniquent sur le coût de l’accueil, sur les risques en termes de chômages, de délinquance ou autres. Dans la même situation de crise économique, l’arrivée des boat-people vietnamiens par exemple a plutôt été une chance !
Le problème de l’UE dans la mondialisation n’est au final pas une question de « poids » ou de situation géoéconomique en termes bruts, mais davantage une question de capacité des Européens à exploiter ce potentiel, ces atouts dont ils disposent.

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