L'édito de Pascal Boniface

Intervenir en Syrie ? Les leçons à tirer de l’Irak et de la Libye

Édito
3 septembre 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Alors que les opérations militaires contre la Syrie semblaient inéluctables, Barack Obama a pris tout le monde par surprise en reportant toute décision au retour de vacances du Congrès, le 9 septembre. Il est significatif qu’il conditionne son choix, non pas au rapport des inspecteurs de l’ONU, mais à la fin des vacances des congressistes.
 
S’il est prouvé qu’al-Assad a utilisé des armes chimiques, il a violé le protocole de Genève de 1925, qui en interdit l’usage, et la convention de 1993, qui en interdit l’usage et la possession. Mais le protocole de 1925 ne comprend pas de mécanisme de sanction. Et la Syrie n’a pas signé la convention de 1993.
 
Légitimité ne signifie pas légalité

 
Le droit international est précis. On ne peut utiliser la force, sauf en cas de légitime défense et de décision du Conseil de sécurité de l’ONU, avec un vote positif des deux tiers de ses membres et sans aucun vote négatif de l’un des cinq membres permanents.
 
Les partisans d’une intervention en Syrie opposent la légitimité à la légalité. Le problème est que la légitimité est toujours d’appréciation subjective par rapport à la légalité. Et le concept de "responsabilité de protéger", qui est évoqué pour agir, n’est pas opérant, car sa mise en action dépend justement du Conseil de sécurité.
 
À court terme, la crédibilité des Occidentaux serait atteinte si, après les multiples déclarations de ses dirigeants, rien ne se passait. Mais à moyen et long terme, l’intérêt de la France est de renforcer la légitimité du Conseil de sécurité dont elle est membre permanent et d’œuvrer en faveur d’un renforcement de la sécurité collective.
 
Une ligue "démocratie" ou le multilatéralisme ?

 
Soit nous décidons que nous appartenons à des civilisations différentes des Russes et des Chinois, qu’il ne sera jamais possible d’avoir un accord avec eux et qu’il faut dès lors mieux s’affranchir des règles du Conseil de sécurité lorsque cela est nécessaire. Il n’est pas certain que la France y soit gagnante à long terme. C’est ce que pensaient les néoconservateurs qui voulaient former une ligue "démocratie" et pestaient contre l’ONU, bloquée par les dictatures.
 
Ne vaut-il pas mieux trouver un rapprochement à long terme ? Partir du monde tel qu’il est si on veut le faire évoluer positivement ? Nous avons des différences, des divergences, de conception et d’intérêts, mais à long terme le choix de multilatéralisme n’est-il pas le moins coûteux ?
 
Les exemples irakien et libyen 

 
L’affaiblissement du Conseil de sécurité rejaillit à la fois sur la France, les membres permanents et la sécurité collective. Dans un passé récent, deux occasions ont été manquées, ce qui explique en partie les actuels blocages de Moscou.
 
En 1990, Gorbatchev avait lâché son allié irakien au bénéfice du renforcement de la sécurité collective. Pour la première fois, le Conseil de sécurité avait agi comme l’avaient prévu les rédacteurs de la charte de l’ONU. Au lieu de le remercier, les Américains en ont conclu qu’il était trop faible et ont traité Moscou comme le vaincu de la Guerre Froide.
 
En 2011, le concept de "responsabilité de protéger", qui avait l’avantage d’éviter l’alternative entre l’inaction et l’ingérence, a été mis à mal. Si on voulait le mettre en œuvre en Syrie, il eut mieux valu ne pas le fouler aux pieds en Libye en 2011. On se rappelle qu’à l’époque, les Russes comme les Chinois s’étaient abstenus lors de l’adoption de la résolution 1973. Une intervention militaire avait été mise en place pour empêcher un massacre de Kadhafi à Benghazi, mais après les premiers succès de l’opération, Paris et Londres ont décidé de changer de mission pour aller jusqu’au changement de régime. Au bout de sept mois, Kadhafi fut renversé. Les Russes comme les Chinois n’ont pas oublié la leçon. Si Kadhafi a été tué au bout de l’opération mise en place avec la résolution 1973, le concept de responsabilité de protéger a, lui, été gravement blessé.
 
L’ONU reste le moindre mal

 
Pourquoi ne pas reconnaître ces erreurs et reprendre avec Moscou et Pékin un débat sur la sécurité collective en leur demandant quels sont les cas où ils seraient prêts à mettre en œuvre le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies ?
 
Le système de sécurité collective de l’ONU n’est-il pas, comme le pensait Churchill de la démocratie, le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ?
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