L'édito de Pascal Boniface

La chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et le jeu américain

Édito
10 novembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

Il y a 25 ans, le mur de Berlin tombait.


Pour beaucoup c’est la date de la fin de la guerre froide. Ceci est faux .Tout d’abord parce que la guerre froide a commencé avant l’édification du mur en 1961. Ensuite, parce que la fin de la guerre froide ne se résume pas à une date mais est un processus qui a duré plusieurs années après l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir. Et d’ailleurs, si le mur est tombé, c’est que le système bipolaire était déjà largement effrité.


La chute du mur est un symbole, pas plus. S’il fallait choisir une date importante, je retiendrais celle du 29 novembre 1990, ce jour où le Conseil de Sécurité a adopté la résolution 678 qui fixait à l’Irak un ultimatum au 15 janvier 1991 pour qu’il se retire du Koweït, faute de quoi des opérations militaires seraient lancées contre lui en vertu du chapitre sept de la charte des Nations unies. L’Union soviétique a voté en faveur de cette résolution qui autorisait l’emploi de tous les moyens nécessaires, y compris la force, pour contraindre Saddam à évacuer le Koweït.


Gorbatchev faisait le choix de la sécurité collective et l’entente avec les Etats-Unis aux dépens du système traditionnel de la protection des alliés par le véto qui avait jusqu’ici bloqué le Conseil de Sécurité. Gorbatchev avait en effet pris une décision fondamentale d’abandonner un allié stratégique de longue date de l’URSS au Proche-Orient, par ailleurs important client de Moscou. Cela concordait avec sa politique de perestroïka et la nouvelle pensée qu’il s’agissait de redonner une nouvelle vigueur aux Nations unies, dont le rôle en matière de sécurité collective avait été profondément entravé pas le blocage dû à la guerre froide. Pour la première fois, la charte des Nations unies en matière de sécurité collective s’appliquait, comme l’avait prévu ses rédacteurs. L’ONU reprenait son rôle principal dans le maintien de la paix et l’établissement de la sécurité collective. La guerre du Golfe de 1990 fut une guerre légale destinée à punir le contrevenant international, et non une guerre des pays occidentaux contre un pays arabe.


La réunification allemande, la liberté retrouvée des pays de l’Est, la coopération victorieuse des 50 permanents du conseil de sécurité de l’ONU pendant la guerre du Golfe «même si la Russie et la Chine n’ont pas participé aux opérations», permettaient d’espérer que se construise une organisation mondiale où la sécurité collective remplacerait la rivalité et la compétition militaire. George Bush célébrait le nouvel ordre mondial et Gorbatchev avait prouvé qu’il voulait dépasser les clivages anciens. On est entré dans une phase nouvelle des relations internationales dans laquelle l’Union soviétique régénérée aurait toute sa place en partenariat avec les autres puissances.


La perestroïka a échoué à l’époque où le cours du baril de pétrole n’était que de 10 $. Si Gorbatchev avait bénéficié des cours actuels que se serait-il passé? Et surtout, les États-Unis lui ont fermé la porte au sommet du G7 de juillet 91 lorsqu’il venait réclamer une aide d’urgence. On connaît la suite: coup d’état, dissolution de l’URSS, les États-Unis consciemment ou au moins volontairement ont délaissé la perspective d’un véritable nouvel ordre mondial multipolaire au lieu de conclure que la fin du clivage Est-Ouest était une victoire collective de l’ensemble des nations pour se projeter vers un monde nouveau. Ils l’ont interprété comme une victoire nationale contre un adversaire vaincu grâce à Dieu. Les États-Unis ont gagné la guerre froide a déclaré George Bush, contredisant ses appels au nouvel ordre mondial.


On ne peut réécrire l’histoire mais force est de constater qu’une occasion historique d’établir un véritable système de sécurité collective a été perdue au sortir de la guerre froide et que nous payons encore le prix avec les multiples crises actuelles.

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