L'édito de Pascal Boniface

France/Allemagne : les dessous d’une rivalité sportive

Édito
6 juillet 2016
Le point de vue de Pascal Boniface
La seconde demi-finale de l’Euro 2016 se tiendra le 7 juillet et verra s’opposer la France et l’Allemagne. Cette rencontre passionne déjà le pays entier et va probablement battre des records d’audience.

Il y a toujours un goût particulier et une tension plus forte que d’ordinaire quand ces deux pays se rencontrent en compétition officielle de football. Affronter l’Allemagne suscite plus d’émotion en France qu’affronter n’importe quelle autre grande équipe européenne.

On peut bien sûr en faire remonter l’origine à la demi-finale de 1982 de Séville restée dans les mémoires collectives françaises. L’Allemagne était donnée favorite, la France a mené 3-1 dans les prolongations avant de perdre dans l’épreuve des tirs au but. Et, bien sûr, chacun reste marqué par l’agression impunie du gardien allemand Schumacher sur Battiston. Cela réveillait l’image d’une Allemagne agressive et brutale, mais également dominante dans le sport organisé, face à une France romantique, belle à regarder mais perdante. À l’époque, François Mitterrand et Helmut Schmidt avaient dû communiquer pour que les relations entre la France et l’Allemagne ne s’enveniment pas au niveau des opinions publiques. Les Français faisaient à l’époque un complexe par rapport aux Allemands censés être plus performants sportivement mais également plus efficaces économiquement, même s’ils n’avaient pas l’autonomie stratégique de la France.

En 1986, de nouveau la France échoua en demi-finale contre l’Allemagne au cours d’un match moins dramatique et plus ennuyeux, qui aurait pu se terminer différemment si Michel Platini n’avait pas joué blessé et était en possession de tous ses moyens. L’élimination prématurée de l’Allemagne à l’Euro 84 et au mondial 2006 nous a privés d’une revanche. En 2014, cette fois-ci en quart de finale, la France fut battue de justesse par l’Allemagne espérant jusqu’au bout pouvoir rattraper le but de retard.

Le sentiment d’injustice et le suspense énorme du match de Séville de 1982 ont beaucoup contribué à sa légende.

La France et l’Allemagne se sont fait vingt-trois fois la guerre mais quatre fois seulement – on l’oublie du fait de l’Histoire récente – à l’initiative de l’Allemagne. Depuis Richelieu, la politique étrangère française a toujours cherché à empêcher l’unification allemande. La politique brouillonne de Napoléon III déboucha sur cette unification. Ce fut également un traumatisme pour la France puisque, pour la première fois depuis la guerre de cent ans, la France perdait une guerre, non pas contre une coalition d’États mais contre un seul pays.

Pour revenir au plan sportif, la défaite fut également attribuée à une meilleure préparation physique des jeunes Prussiens par rapport au Français. L’un des objectifs du baron Pierre de Coubertin en recréant les Jeux olympiques (JO) était d’ailleurs de mieux préparer la jeunesse française à l’effort physique pour une éventuelle revanche sur l’Allemagne.

Par ailleurs, après la Première Guerre mondiale, la France a obtenu que la pratique sportive soit encadrée ou, pour certains sports jugés militaires, interdite. Elle a aussi obtenu que l’Allemagne ne participe pas aux JO de 1920 et 1924 pour qu’elle ne puisse, dans les stades, prendre la revanche de sa défaite sur le champ de bataille. On se rappelle la phrase de François Mauriac après la division de l’Allemagne : «  j’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux ». Mais les tandems De Gaulle/Adenauer, Giscard/Schmidt et Mitterrand/Kohl ont dépassé cette hostilité et ont formé le « couple franco-allemand ». C’est d’ailleurs une idée fausse de penser que François Mitterrand s’est opposé (contrairement à Margaret Thatcher) à la réunification franco-allemande. Il était trop réaliste pour penser pouvoir l’empêcher et souhaitait l’encadrer. Il a été le moteur de la construction européenne.

Il semblerait que, contrairement aux matchs officiels précédents, la France n’ait plus de complexe d’infériorité par rapport à l’Allemagne. Le sort d’un match reste toujours incertain, mais si auparavant on espérait pouvoir battre les Allemands, cette fois-ci on peut y croire de façon réaliste.

Si la compétition sportive est si forte entre la France et l’Allemagne, c’est aussi parce que ce sont désormais deux pays alliés. La rivalité n’existe plus sur le plan stratégique. Elle est cantonnée – et c’est heureux – à la dimension sportive. L’alliance franco-allemande donne plus d’éclat aux affrontements sportifs.

Pascal Boniface vient de publier « JO Politiques » aux éditions Eyrolles. 
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