L'édito de Pascal Boniface

Renaud Dély : l’homme pressé, le journalisme bâclé, la déontologie torpillée

Édito
2 novembre 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
Renaud Dély est un homme pressé. Il court les plateaux télévisuels et dirige la rédaction d’un hebdomadaire, en grande difficulté par ailleurs. Tout ceci nécessite du temps. Du coup, il ne peut visiblement pas vérifier ses informations.

Mais ce n’est pas grave quand la recherche du buzz permet mieux que l’information une présence médiatique et le sauvetage d’un titre, quand le sensationnel l’emporte sur la vérité. Renaud Dély est un homme pressé. Il n’a pas le temps de lire la charte de déontologie journalistique. Ça tombe bien, car il ne souhaite pas s’embarrasser de ce qui le freinerait dans son élan. La charte de Munich, appelée également Déclaration des devoirs et droits des journalistes, interdit les « accusations sans fondement ». La charte d’éthique du Syndicat national des journalistes tient, quant à elle, « l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, la déformation des faits, le mensonge, la manipulation, la non-vérification des faits », pour les plus graves dérives professionnelles.

Heureusement pour Renaud Dély, l’obtention de la carte professionnelle n’est pas conditionnée au respect de ces règles déontologiques. Le 30 octobre 2017, sur LCI, il a ainsi accusé Edwy Plenel et moi-même de « complicité intellectuelle » avec Tariq Ramadan, déclaration largement relayée sur les réseaux sociaux, notamment par l’extrême-droite. S’il ne nous a pas directement rendus complices des viols dont T. Ramadan est accusé, il a profité de la polémique déclenchée par cette affaire pour nous associer, de façon indirecte, à ces derniers. Et c’est, bien sûr, ce que le public retient. Selon lui, nous aurions assuré la promotion de T. Ramadan en France, nous rendant ainsi, si ce n’est coupables, du moins responsables de ses actes. Il oppose le courage de Caroline Fourest, qui combat T. Ramadan depuis longtemps, à notre complaisance.

Toujours dans la précipitation, R. Dély oublie de citer Edgar Morin, auteur d’un livre-débat avec T. Ramadan. Oubli qui n’a, en réalité, rien d’involontaire. Car, s’il se croit courageux, il n’est pas non plus téméraire. E. Morin est une figure incontournable du paysage intellectuel français, et il sait que de nombreux lecteurs de Marianne n’auraient pas apprécié cette mise en cause. Je suis, pour lui, une cible plus facile à atteindre.

R. Dély a ainsi procédé à un ignoble amalgame qui, dans le cas d’un débat public intellectuel normal, devrait le disqualifier. En quoi débattre avec quelqu’un rend complice de ses éventuels crimes, par ailleurs inconnus jusqu’alors ? Peut-on dire que tous ceux qui ont fréquenté Dominique Strauss-Kahn ou Roman Polanski sont intellectuellement complices de leurs actes ? De quelle complicité parle-t-il me concernant ? Je n’ai croisé T. Ramadan qu’une seule fois. Je n’ai jamais assuré sa promotion ou collaboré avec lui. J’ai interpellé R. Dély, en lui demandant sur quels éléments factuels reposaient ses accusations. Il n’a, bien sûr, pas répondu pour une simple raison : il n’y en a aucun ! Donc, il avance des accusations graves et calomnieuses sans fondement. La volonté de salir l’emporte sur le devoir d’informer. Bonjour, la déontologie !

Certes, j’ai plaidé pour que T. Ramadan, comme d’autres, ait le droit de s’exprimer. La liberté d’expression ne vaut pas que pour ceux qui sont d’accord avec moi. La censure et les interdits dont il faisait l’objet en France, et dans aucun autre pays occidental, me paraissaient anormaux. Je trouvais en effet excessives et injustifiées les raisons initiales de sa mise au ban médiatique en 2003, pour s’en être pris à un certain nombre d’intellectuels juifs, français, partisans de la guerre d’Irak, leur reprochant d’être passés de l’universalisme au communautarisme. On l’avait alors accusé de dresser une « liste » de juifs. Il dénonçait pourtant l’antisémitisme tout en critiquant le gouvernement israélien. Je jugeais ainsi cette mise à l’écart démesurée et, par ailleurs, susceptible de nourrir le complotisme.

On m’a reproché de ne pas m’être exprimé sur l’affaire de viols. Mais je ne suis tout simplement pas concerné. Je ne me suis pas davantage exprimé sur l’affaire Weinstein… Mais puisque je suis interpellé, je réponds. Ceux qui ne disent mot de l’affaire Weinstein et s’égosillent sur T. Ramadan alimentent le complotisme et l’antisémitisme ; ceux qui se taisent sur l’affaire Ramadan et se déchaînent sur Weinstein alimentent le racisme anti-musulman, qu’ils dénoncent par ailleurs. Certains accusent aveuglément T. Ramadan, car c’est un leader musulman influent ; d’autres le défendent tout aussi aveuglément pour les mêmes raisons. Les deux ont tort. Si les faits reprochés à T. Ramadan sont confirmés par la justice, ils sont répugnants et condamnables. Mais, laissons-la faire son travail.

Les accusations de R. Dély ne sont en rien dues au hasard. S’il attaque E. Plenel, c’est parce que Mediapart, à de nombreuses reprises, a évoqué les turpitudes de Marianne. En s’en prenant à moi, il vient au secours de C. Fourest, mise en cause dans mes ouvrages, Les intellectuels faussaires et Les pompiers pyromanes, sans qu’elle n’ait jamais pu répondre. De plus, j’ai récemment interviewé Olivier Mangin, sur son ouvrage concernant les Femen, où il est clairement indiqué qu’à des fins personnelles, les vraies créatrices du mouvement ont été écartées et mises en danger par C. Fourest, au profit d’Inna Shevchenko, à laquelle elle est liée. Publiées sur mon blog, le 19 octobre 2017 – avant que n’éclate le scandale Ramadan[1] – ces terribles révélations auraient dû, au moins, ébranler la statue du commandeur que représente C. Fourest pour beaucoup de monde. Mais, bien sûr, Marianne n’abordera pas ce sujet. Si C. Fourest attaque T. Ramadan depuis longtemps, ce n’est pas parce qu’il pourrait être un prédateur sexuel, ce que nul ne pouvait deviner,[2] mais parce qu’elle le combattait idéologiquement. Associer E. Plenel et moi-même à cette affaire est une instrumentalisation ignoble, consistant à régler des comptes personnels sur le dos des plaignantes. Il est d’ailleurs remarquable que C. Fourest soit si prolixe sur ce sujet, alors qu’elle était inaudible sur l’affaire Weinstein.

Les débats idéologiques sur les questions qui touchent à l’identité, la laïcité ou la place de l’Islam en France sont souvent clivants et très vifs, voire violents. Devoir recourir à la déformation des faits, aux contrevérités et aux mensonges pour plaider sa cause ne devrait, en aucun cas, être admis.

Je ne me fais aucune illusion. R. Dély continuera à plastronner sur les plateaux télévisuels et C. Fourest à donner des leçons de morale. Les faussaires, qui alimentant le complotisme qu’ils prétendent combattre, sont insubmersibles dans le paysage médiatique. Bien sûr, je suis prêt à débattre sur ces sujets avec eux. Mais j’ai plus de chance d’être sélectionné par Didier Deschamps dans la liste des vingt-trois pour la Coupe du monde en Russie que de recevoir une réponse positive de leur part.

[1] Ce n’est donc en rien pour protéger ce dernier que j’ai publié cet entretien.

[2] C. Fourest prétend le savoir depuis 2009 : pourquoi est-elle restée muette ?
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