L'édito de Pascal Boniface

Nouvelles guerres – Quel état des lieux ?

Édito
4 septembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface
Congo, Somalie, Nigéria, Mali, Centrafrique, Syrie, Irak, Israël, Palestine, Ukraine… La fin de la guerre froide n’a pas laissé la place à un monde de paix. Bertrand Badie et Dominique Vidal viennent ainsi de publier « Nouvelles guerres. L’état du monde 2015 », un ouvrage qui révèle, au-delà de l’immédiateté de l’événement, les grandes tendances des changements à l’œuvre sur la planète. Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris, répond à mes questions.


Assiste-t-on à un retour en force des conflits ou est-ce un effet grossissant de l’attention des médias ?

Le rôle grossissant des médias est incontestable, associé d’ailleurs aux aspects tragiquement spectaculaires que revêtent les nouveaux conflits. Beaucoup d’analystes font même remarquer que le nombre et l’intensité des conflits tendent à diminuer au fil des décennies depuis 1945. Je serai pour ma part assez réservé : la prise en compte quantitative des conflits est un art scabreux et le décompte des victimes est hasardeux à l’heure où les conflits mêlent sans cesse davantage militaires, miliciens et civils. Deux points me paraissent en fait importants. D’une part, l’idée de formes nouvelles de conflictualité, moins militaires, moins étatiques, plus sociales, s’installe de manière de moins en moins contestable et donne, par son inédit, plus de visibilité aux conflits récents. D’autre part, nous sommes entrés, en gros depuis la guerre d’Irak, dans une conjoncture nouvelle dont la nature très conflictuelle pèse très fortement sur la diplomatie mondiale.
 

La guerre a-t-elle changé de nature ?
C’est bien là l’essentiel. Nous avons, nous autres Européens, une mémoire longue de la guerre, comme conflictualité intimement liée à la concurrence de puissance entre Etats. C’est même ainsi que se sont constitués, à la longue, nos propres Etats occidentaux. Aujourd’hui, la guerre n’est plus un fait de puissance, mais devient, au contraire, le lot commun des plus faibles. Ces nouveaux conflits sont rarement interétatiques et impliquent durement les sociétés civiles. Les armées y sont marginales voire absentes. Quand la puissance intervient – et même la superpuissance- elle se révèle justement impuissante et parfois même vaincue. La guerre devient plus un fait de société que d’Etat.
 

Quelle vous parait être la menace la plus importante ?

Justement, à force d’être un fait de société, on peut craindre que ces guerres nouvelles ne créent un peu partout des « sociétés guerrières », c’est-à-dire des sociétés où la guerre s’installe durablement et vient à accomplir les principales fonctions sociales que l’Etat ne peut plus prendre en charge : on parle alors d’économie de guerre qui profite à beaucoup, d’entrepreneurs et de « seigneurs de la guerre » qui en vivent et, pire encore de tout un ensemble de fonctions qui, par exemple, explique l’affreux phénomène des enfants soldats qui, grâce à la guerre, peuvent se nourrir, se vêtir et et être considérés. La responsabilité des puissances occidentales est énorme : par une réponse maladroite et traditionnellement militaire, elles risquent d’alimenter cette dynamique. Il faut enfin en venir à un traitement social de ces conflits.

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