L'édito de Pascal Boniface

Réfugiés : la crise est devant nous

Édito
25 septembre 2015
Le point de vue de Pascal Boniface
À peine l’Union européenne croit-elle être sortie de ce qu’elle pensait être la plus grave crise de son existence, avec le débat sur le maintien de la Grèce dans le zone euro, qu’elle se trouve confrontée à une autre encore plus grave : ce qu’on appelle la crise des migrants en France, mais qu’on devrait plus précisément qualifier de crise des réfugiés.

Les États ont souvent recours à l’invocation de valeurs pour masquer la défense de leurs intérêts. Ce fut le cas lors du débat sur la Grèce. Pour ce qui est de la crise des réfugiés, les différends entre pays membres sont plus que jamais portés sur les valeurs : quelle attitude adoptent les pays de l’Union face à des gens qui fuient massacres et guerres civiles?

Les nouveaux membres d’Europe centrale et orientale sont beaucoup plus rigides, et certains même hostiles à l’accueil des réfugiés. Ce sont des pays qui n’ont jamais connu de flux d’immigration pour des raisons historiques, stratégiques et économiques. Mais l’accueil de ceux qui fuient les persécutions constitue un fondement de valeurs européennes.

Il est d’autant plus remarquable que la France et l’Allemagne ont très rapidement trouvé une position commune, alors que leurs intérêts sont différents. L’Allemagne, en déficit démographique, connaissant quasiment le plein emploi, a un besoin criant de main-d’œuvre. La France a une démographie solide mais un marché du travail difficile. L’extrême-droite xénophobe joue un rôle politique plus important et parvient à peser sur le débat politique et positionnement des autres partis. Néanmoins, on voit que le couple franco-allemand reste solide.

Mais, pour grave que soit cette crise, il faut prendre en compte des considérations qui montrent que le pire est devant nous.

Tout d’abord, la source des problèmes : les guerres civiles en Irak et en Syrie ne sont pas prêtes de s’éteindre. Si on connaît les solutions, à savoir la destitution de Bachar el-Assad, la constitution d’un gouvernement d’union nationale en Syrie et la mise en place d’un gouvernement réellement inclusif en Irak, chacun sait qu’elles sont loin de pouvoir se réaliser. Il y a une disjonction entre le temps court de l’émotion face à la crise des réfugiés, la nécessité de solutions d’urgence, et le temps long de la mise en place d’une solution géopolitique. Les flux ne sont pas près de s’éteindre.

Mais, à moyen terme, il y a un autre facteur potentiellement porteur de larges courants d’immigration : c’est la situation démographique en Afrique de l’Ouest. De 1950 à 2050, la population globale du continent africain passera, selon les Nations unies, de 230 millions à 2,5 milliards d’habitants.

Un article de François Cailleteau[1] évoque la position particulière de cinq pays africains qui ont la double caractéristique d’avoir appartenu à l’empire français et d’avoir aujourd’hui sur leur sol des contingents militaires français engagés aux côtés des armées nationales : il s’agit du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et de la République centrafricaine.

Ces pays comptaient 15 millions d’habitants au moment de leur indépendance en 1960. Ils en comptent aujourd’hui 67 millions. En 2050, ils seront près de 200 millions. Chaque année le Niger compte 500 000 habitants supplémentaires.

Ces pays se caractérisent par une densité humaine importante, compte tenu de la superficie croissante des zones désertiques. L’urbanisation y est galopante. N’Djamena compte 1,1 million d’habitants, contre 50 000 en 1960. Depuis l’indépendance, Bangui est passée de 90 000 à 1,2 million d’habitants, Niamey de 20 000 à 1,3 million, Ouagadougou de 40 000 à 1,6 million et Bamako de 70 00 à 1,8 million. Il y a donc une constitution de mégalopoles peuplées de pauvres et démunies d’infrastructures. Cela étant dit, à l’heure de la globalisation et du téléphone portable, l’information circule et ces populations réalisent la différence avec le monde extérieur.

Toujours selon François Cailleteau, le rapport du PIB par habitant par rapport au PIB français a constamment baissé. En 1960, il se situait entre 7 et 12 %, en 2000 entre 2 et 4 % et aujourd’hui entre 2 et 5 %.

Si rien n’est fait en termes d’éducation, notamment des jeunes filles (meilleur moyen d’assurer la transition démographique), et de développement, la crise actuelle nous paraitra bénigne. Et les difficultés de l’Europe bien pires que celles actuelles.

 

[1] CAILLETEAU (François), « Le défi démographique africain », Revue internationale et stratégique n°99, pp 53-61.
Tous les éditos