L'édito de Pascal Boniface

GAZA. Comparer le conflit Israël/Palestine à la Syrie : un raisonnement fallacieux

Édito
28 juillet 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

LE PLUS. Pourquoi tant de manifestations contre l’offensive israélienne à Gaza, et si peu à propos de la Syrie ? C’est l’argument que certains opposent à ceux qui se mobilisent contre les bombardements sur le territoire palestinien. Un raisonnement faux et cynique pour Pascal Boniface, directeur de l’Iris. Il a souhaité y répondre ici. 
 


Ceux qui tentent désespérément de justifier les bombardements de populations palestiniennes civiles à Gaza mettent en avant un argument à l’encontre de ceux qui protestent contre ces mêmes bombardements. Ils leur reprochent de rester silencieux sur les événements en Syrie, qui pourtant ont fait beaucoup plus de morts. Avec l’idée sous-jacente que si on critique plus Israël pour un nombre de morts moins importants, il y a forcément quelque part de l’antisémitisme. Sinon pourquoi ?
 


Instrumentaliser les morts en Syrie pour taire ceux de Gaza
 


On peut penser que cet argument qui tourne en boucle a été fourni clé en main par les communicants du gouvernement israélien. Peu importe, prenons-le tel qu’il est.
 


Il est tout d’abord faux.
 

La plupart de ceux qui se mobilisent contre les bombardements israéliens protestent également et depuis l’origine contre la répression de Bachar al-Assad.

 
Il y a certes des personnes qui estiment que l’opposition à Bachar al-Assad est instrumentalisée de l’étranger et qui considèrent (à tort) le régime syrien comme une forteresse de l’opposition au monde occidental dans le monde arabe.

 
C’est faux.
 

Israël et les États-Unis se sont toujours accommodés du régime d’al-Assad qui, au-delà de ces protestations verbales, n’a jamais constitué une gêne pour Israël. En tous les cas, la majorité de ceux qui plaident pour l’existence d’un État palestinien condamnent la répression du dictateur syrien même s’ils ne sont pas tous favorables à une intervention militaire pour le renverser.
 


On peut aussi s’étonner de la logique qui voudrait qu’on reste muet sur un massacre parce qu’il y en a ailleurs. On peut au contraire voir un certain cynisme de la part de ceux qui instrumentalisent les morts en Syrie pour faire taire sur ceux de Gaza.
 


De nombreux articles, livres, colloques et manifestations ont été organisés pour protester contre les massacres en Syrie, auxquels ont participé ceux qui s’opposent actuellement aux bombardements sur Gaza.
 


Israël, une "démocratie exemplaire", vraiment ?


Il y a par ailleurs une différence de taille entre la Syrie et Israël-Palestine. La Syrie ne s’est jamais proclamée comme étant la seule démocratie du Proche-Orient et n’a jamais proclamé qu’elle était à l’avant-garde de la promotion des valeurs occidentales. L’armée syrienne n’a jamais été présentée comme "l’armée la plus morale du monde". Al-Assad est un dictateur sanglant, il réprime sa propre population avec férocité. Il n’a jamais été présenté comme un "homme de paix" qui lutte contre le terrorisme par les médias occidentaux.

 
Il est curieux qu’Israël, qui se présente ou est présenté par ses avocats comme une "démocratie exemplaire" soit mis en comparaison avec le régime syrien. Israël est certes une démocratie, c’est également un pays qui occupe un peuple qui n’est pas le sien et qu’il réprime en pratiquant des humiliations au quotidien et des massacres de civils dans les périodes de crise. On ne peut pas se présenter comme un régime démocratique et ne pas être comptable de ses actes à cette aune-là.
 


L’autre différence est qu’il n’y a pas d’institutions ou de journalistes et intellectuels ancrés dans le paysage politique et médiatique français qui accusent immédiatement de racisme anti-arabe ceux qui critiquent Bachar al-Assad, qui lancent des appels de mobilisation en faveur de l’armée syrienne et qui tentent de faire taire par tous les moyens ceux qui critiquent le régime syrien.
 


Ceux qui manifestent pour que cesse le bombardement sur la population civile de Gaza n’ont pas d’indignation sélective, contrairement à ceux qui voudraient qu’on n’en parle pas.
 
 
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