L'édito de Pascal Boniface

Torture de la CIA, Guantanamo : démocraties, les droits de l’homme ne sont pas négociables

Édito
12 décembre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

Deux réflexions viennent immédiatement à la lecture du rapport sur les méthodes de la CIA « Committee Study of the Central Intelligence Agency’s Detention and Interrogation Program ».


La première est de se réjouir de la capacité des États-Unis à aborder leur passé, à faire un travail d’introspection et affronter en face leurs erreurs et leurs crimes. Ce n’est pas donné à tous les pays, et la France a sur ce point des leçons à tirer.


Mais, si l’on peut s’en réjouir, cela ne doit pas cependant masquer la seconde réflexion hélas plus importante et nettement moins agréable : les États-Unis sont capables de s’affranchir des règles qu’ils édictent eux-mêmes et dont ils font la promotion à travers le monde. Le pays qui se veut leader du monde démocratique est capable de piétiner les règles les plus élémentaires du droit international (cf. guerre d’Irak 2003 entre autres exemples) et du respect des droits humains dont Guantanamo est le symbole.


Des centaines de prisonniers ayant été enfermés en dehors de toute procédure légale et les Américains n’ont pas hésité à employer la torture pour extorquer des aveux.


Cela soulève deux problèmes. Les démocraties peuvent-elles faire des exceptions à leurs principes ? La fin justifie-t-elle les moyens ? À cela la réponse est non, catégoriquement non. Obama a raison de rappeler que « le caractère de notre pays doit être jaugé non pas à ce que nous faisons quand les choses sont faciles mais à ce que nous faisons lorsqu’elles deviennent difficiles.


 » Dianne Feinstein, présidente du comité de renseignement (démocrate en Californie), a avec pertinence déclaré que le rapport rappelle que l’action de la communauté du renseignement doit toujours refléter ce que sont les États-Unis comme nation et adhérer à ces lois et standards. Ce qui en l’espère n’a pas été le cas.


Comment les démocraties occidentales peuvent-elles faire la leçon au reste du monde sur le respect des droits de l’homme, la supériorité du système démocratique si elles n’hésitent pas à torturer ? L’excuse de l’urgence de circonstances stratégiques particulières (11 septembre) ne peut valoir clause d’exception.


Les démocraties perdent leur crédibilité lorsqu’elles emploient des méthodes qu’elles condamneraient chez les autres. Au nom de quel principe peuvent-elles juger possible de s’exonérer du respect des droits fondamentaux et ne pas l’admettre chez les autres ? Tous les pouvoirs autoritaires ont toujours une excuse à fournir pour utiliser des méthodes brutales. On ne combat pas le terrorisme avec la torture, on le renforce.


Certains occidentaux aiment à répéter que le reste du monde ne partage pas leurs valeurs. C’est faux : tous les peuples du monde aspirent à plus de liberté. Ce qui est souvent reproché aux Occidentaux dans le reste du monde, ce ne sont pas les valeurs universelles dont ils se réclament mais le fait qu’ils les appliquent souvent à géométrie variable en fonction de leurs intérêts stratégiques.


Au-delà de l’aspect moral mais essentiel de ce débat, le rapport montre tout simplement que la torture ne fonctionne pas. Non seulement elle est indéfendable politiquement et moralement mais par ailleurs elle est inefficace, y compris sur le plan du renseignement.


On apprend que la CIA avait donné des faux éléments pour un discours de George Bush en 2006, donnant le sentiment que des renseignements capitaux pour la sécurité nationale avaient été obtenus par des méthodes brutales alors que ce n’était pas le cas.


Dick Cheney et des responsables de la CIA avaient déclaré après l’exécution de Ben Laden que le programme d’obtention, par tous les moyens, d’informations sur les prisonniers avait permis d’obtenir des renseignements essentiels pour la capture de Ben Laden. Le rapport réfute cette affirmation et en vingt exemples étudiés montre que jamais les méthodes les plus brutales d’interrogation ont joué un quelconque rôle pour déjouer des projets d’attentats terroristes.


Le rapport est publié alors qu’Amnesty International avait lancé une campagne pour faire reculer la torture en 1984. Grâce à la campagne mondiale de l’organisation de défense des droits de l’homme, une convention internationale contre la torture avait été adoptée. 155 États l’ont ratifiée et 30 ans plus tard Amnesty International dresse un constat accablant : 141 pays continuent de la pratiquer ou de la tolérer.


D’où la nécessité d’une nouvelle campagne, lancée par Amnesty en mai dernier.

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