L'édito de Pascal Boniface

Malala Yousafzai et Kailash Satyarthi, Nobel de la paix : une attribution complémentaire

Édito
13 octobre 2014
Le point de vue de Pascal Boniface

Le prix Nobel de la paix 2014 a été attribué conjointement à l’Indien Kailash Satyarthi.et à la Pakistanaise Malala Yousafzai.


Au-delà des récipiendaires, cette double désignation vient récompenser un combat : celui pour le droit à l’éducation des enfants.


Kailash Satyarthi lutte contre le travail des enfants depuis plus de 25 ans. Il est considéré le chef de file dans la lutte contre le travail des enfants, la traite et le travail forcé. Au risque de sa vie, il a exfiltré des enfants travaillant dans des ateliers gérés par des employeurs peu scrupuleux.


Si l’esclavage est aboli en droit en Inde, il reste en fait largement répandu, fruit de la pauvreté, de l’incapacité à rembourser les dettes, du mépris social lié au système de castes et d’une indifférence assez répandue à l’égard des plus démunis, dans la plus grande démocratie du monde.


Son action a permis à plus de 80.000 enfants de sortir d’une forme moderne de l’esclavage.. Il a lancé le programme en Inde pour encourager les villages à abolir le travail des enfants et créé le label Goodweave qui vient garantir que les produits qui en sont marqués n’ont pas été produits grâce au travail d’enfants.


Malala Yousafzai, plus jeune prix Nobel de la paix à 17 ans et 16e femme à l’obtenir, est beaucoup plus connue.


Elle avait déjà reçu en 2013 le prix Sakharov pour les droits de l’homme du Parlement européen, elle est une icône médiatique depuis son arrivée en octobre 2012 dans un hôpital de Birmingham après la tentative d’assassinat dont elle est victime par les talibans. Dès 11 ans, en 2009, elle a tenu un blog en ourdou sur la BBC « Journal d’une écolière pakistanaise » dénonçant les violences des Talibans qui après avoir pris le contrôle de la vallée du Swat en 2007 incendiaient les écoles pour filles et assassinaient les opposants.


Son père, opposant de longue date aux Talibans, a été nommé en décembre 2012 conseiller spécial de l’ONU pour l’éducation. En juillet 2013, Malala avait fait un discours à la tribune de l’ONU déclarant « les extrémistes ont peur des livres et des stylos. Le pouvoir de l’éducation les effraie », recevant une standing-ovation.


En faisant cette double attribution, le comité Nobel fait le jeu de la complémentarité entre une jeune fille plus médiatique, dont la précocité alimente contre elle des rumeurs de manipulation par les occidentaux, et un militant qui fait un travail de fond depuis longtemps.


Cela permet de récompenser en même temps une Pakistanaise musulmane et un Indien de confession hindoue, sachant que le sort des enfants est pour le moins délicat dans les deux pays. Nawaz Sharif, le Premier ministre du Pakistan a déclaré que « Malala est la fierté du Pakistan ».


En 2013, l’attribution du prix Nobel de la paix à l’organisation pour l’interdiction des armes chimiques, suite à l’accord permettant le démantèlement de l’arsenal chimique syrien, est passé pour un choix d’opportunités à courte vue, la guerre civile se prolongeant et s’intensifiant en Syrie.


En 2012, le choix de l’Union européenne avait surpris car, si la construction européenne est un apport fondamental à la paix, l’année de l’attribution était plus porteuse d’interrogations : pourquoi si tard ?


En 2009, c’est plutôt de façon prématurée, comme le disaient certains déjà à l’époque et ce fut confirmé par la suite, que Barak Obama reçut le prix Nobel.


En 2008, Martti Ahtisaari pouvait également prêter à caution car il n’y avait plus de conflit dans les Balkans mais l’indépendance du Kosovo n’était pas consensuelle.


Le choix antérieur d’Al Gore et le Giec en 2007, Muhammad Yunus et la Grameen Bank en 2006, des opposants politiques luttant pour les droits humains (Lu Xiaobo en 2010, Shirin Ebadi en 2003), l’AEIA et son directeur Mohammed Brassaï en 2005 qui s’étaient opposés à la guerre d’Irak étaient nettement consensuelles.


Pour le comité Nobel, la paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre c’est aussi le développement des sociétés civiles, l’affirmation de l’autonomie des individus et de leur liberté. Il s’agit cette année de populariser le travail fait, au-delà de ces deux personnes, par de multiples associations pour la l’éducation et l’autonomie des enfants.


Le prix Nobel n’est pas seulement une récompense, c’est aussi une prime aux combats futurs, par le biais de l’opinion publique.

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