L'édito de Pascal Boniface

Le CRIF, Finkielkraut et BHL censurent Stéphane Hessel

Édito
18 janvier 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Aujourd’hui le 18 janvier, aurait dû avoir lieu, à l’École normale supérieure, un colloque débat réunissant Stéphane Hessel, le magistrat Benoît Hurel, Leila Shahid, délégué de l’Autorité palestinienne à Bruxelles, le pacifiste israélien Michel Warschawski et Elisabeth Guigou.
Aurait dû, parce que Monique Canto Sperber, directrice de l’ENS l’a interdit.

Sur le site du CRIF, son président, Richard Prasquier, se réjouit de cette nouvelle. Selon lui, ce débat n’était pas contradictoire. Il s’agissait en fait de défendre le collectif BDS qui prône le boycott des produits israéliens. Dans son éditorial, il affirme « c’est bien le CRIF qui est à la manœuvre derrière toutes les procédures contre le boycott, même si par tradition il s’abstient de porter plainte lui-même ». Il rend hommage à Claude Cohen Tannoudji, Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut, tous anciens élèves de l’École normale supérieure, qui ont intercédé auprès Valérie Pecresse, ministre des Universités, afin d’interdire ce débat.

Ceci a provoqué un émoi dans la communauté intellectuelle dont la presse n’a que très partiellement rendu compte.
Ce débat était-il si dangereux qu’il fallait en interdire la tenue ? Certes il n’était pas follement contradictoire. Je préfère pour ma part les véritables débats où des points de vue divergents s’expriment, que ceux où le même point de vue est décliné sur plusieurs modes. Mais peut-on justifier l’interdiction d’un colloque au motif de la convergence de vue des participants ?

Les défenseurs inconditionnels d’Israël n’organisent-ils pas eux-mêmes des conférences où l’unanimisme est de mise et où parfois des propos violents sont parfois tenus contre ceux qui ne partagent pas leur avis ? Ne peut-on pas penser que le public est suffisamment adulte pour choisir ce qu’il a envie d’entendre ou non ? D’autant plus que le public de l’ENS est censé avoir un certain sens critique.
On peut légitimement débattre du boycott. Parmi les partisans, certains en ont une vision extensive, d’autres (comme la plupart de ceux qui devaient débattre) veulent le limiter aux produits israéliens issus des colonies, conformément d’ailleurs à la législation européenne. Tous, en tous les cas, protestent contre le fait que cette revendication puisse être qualifiée de provocation publique à la discrimination, comme cela a été fait par le ministre de la Justice, croit-on comprendre, à la demande du CRIF.

Le CRIF affirme avoir deux objectifs : la lutte contre l’antisémitisme et la défense d’Israël. N’a-t-il pas en l’occurrence privilégié le second sur le premier ? Sauf à réaffirmer une énième fois que toute critique d’Israël fait le lit de l’antisémitisme. Mais l’efficacité de cet argument utilisé avec insistance depuis une dizaine d’années s’amenuise et irrite de plus en plus de gens. Il est encore moins recevable au moment où Israël a le gouvernement le plus à droite et même le plus à l’extrême-droite de son histoire, et où les O.N.G. de défense de droits de l’homme sont dans le collimateur de certains partis gouvernementaux.

N’est-ce pas un aveu de faiblesse que de vouloir interdire un débat ? Une contre argumentation critique n’est-elle pas préférable ? Le CRIF peut-il à la fois déplorer l’importation du conflit israélo-palestinien en France et agir ainsi ? Si malgré l‘immense respect que suscite Stéphane Hessel et le succès phénoménal de son livre, le CRIF parvient à l’empêcher de tenir une conférence, on peut deviner les problèmes posés à des gens moins en vue qui critiquent également l’action du gouvernement israélien.

Le CRIF semble soumis à la pression de la fraction la plus radicalisée de sa base. En reprenant ses revendications, il contribue à sa radicalisation. Il exerce une pression sur les responsables politiques, les journalistes et intellectuels, créant chez nombre d’entre eux un climat de peur qui les conduit à ne pas s’exprimer sur ce sujet. La peur que suscite le CRIF peut limiter la critique du gouvernement israélien à court terme. À long terme, elle crée des effets malsains qui ne sont bons pour personne.

En ayant soutenu l’interdiction de conférence (tout en espérant que leur action ne soit pas rendue publique), BHL (qui est coutumier du fait) et Alain Finkielkraut se rangent dans la catégorie des censeurs. C’est contradictoire avec les postures publiques qu’ils affichent et il est curieux que les mêmes qui protestent contre le boycott des produits, prônent celui des personnes avec lesquelles ils sont en désaccord.
 


 

Tous les éditos