L'édito de Pascal Boniface

Au-delà des apparences, la Russie change

Édito
5 décembre 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

20 ans après la disparition de l’Union soviétique, l’image de la Russie reste toujours très largement négative dans les médias français. Régime autoritaire, absence d’État de droit, presse et justice sous contrôle, opposition bafouée, nationalisme agressif, sont les images qui reviennent le plus régulièrement.

Pour beaucoup, c’est dans ces facteurs que réside l’explication principale des succès électoraux de Poutine. Il est certain qu’il y a encore de nombreux manquements à l’État de droit dans la Russie contemporaine. La traiter comme l’Union soviétique pré-gorbatchévienne tient cependant plus du réflexe idéologique que de l’examen de réalité.

Boris Eltsine reste populaire dans le monde occidental pour avoir mis fin au communisme. En Russie, il est celui sous la présidence duquel le PNB national a chuté de moitié en moins de 10 ans, la production agricole de 40 % (ce que Staline n’avait pas réussi à faire lors de la « dekoulakisation »), où le pays a été spolié au profit d’amis du pouvoir. Retraites non payées, pouvoir d’achat des employés et fonctionnaires drastiquement réduit – une partie de la population réduite à la mendicité -, restent dans les mémoires collectives, plus importants que l’image (arrangée) de lui juché sur un char lors du coup d’état d’août 1991, se battant au nom des libertés contre les conservateurs communistes.
Le rôle international de Moscou n’a cessé d’être malmené sous sa présidence, de l’élargissement de l’OTAN à la guerre du Kosovo. La Russie n’était plus considérée comme une puissance internationale par les Occidentaux et effectivement elle ne pesait plus guère sur la scène diplomatique.

Certes, le citoyen russe sous Poutine n’est pas tout à fait autonome et ses droits ne sont pas entièrement établis. Mais cela ne change guère, par rapport à ce qu’a été le pays quel que soit le régime. Les années Gorbatchev représentant sans doute celles du plus grand bouillonnement intellectuel et démocratique.

Mais, si le citoyen peut encore se plaindre, le patriote et consommateur russe sont eux satisfaits. Ils sont reconnaissants à Poutine d’avoir redonné du lustre à la diplomatie russe, même si cela suscite une dose supplémentaire d’agacement des Occidentaux à l’égard du pays. Le pouvoir d’achat a été reconstitué, une classe moyenne s’est développée, la Russie a connu une croissance annuelle de 7 % durant les deux présidences de Poutine, grâce entre autres à l’élévation du cours des matières premières énergétiques, dont elle est encore dépendante pour les deux tiers dans ses recettes d’exportation.
Les libéraux, appréciés en Occident, sont encore liés à l’image des privatisations spoliatrices.

Les récentes élections montrent une chute de 15 % du parti de Poutine qui atteint néanmoins la majorité absolue. On parle de trucages, de pressions. Mais c’est en tous les cas la preuve que le pays n’est pas monolithique et qu’une société civile active s’y développe. Cela confirme l’un des constats que l’on faisait après la révolution tunisienne, il n’y aura pas d’effet domino dans l’ensemble des pays arabes (tous les régimes ne vont pas tomber) mais il y a une onde de choc mondiale. Partout dans le monde, les populations sont de plus en plus actives politiquement.

Alors que la recherche scientifique est l’une des rares réussites de l’Union soviétique, elle est aujourd’hui en berne. En Russie, les dépenses de recherche-développement sont inférieures à 1 % du PIB.

Mais l’usage d’Internet se développe. Indispensable pour retrouver la compétitivité économique, hors secteur énergétique, il a pour effet indirect de muscler le poids des opinions et l’autonomie des individus, et de créer un espace public liberté d’expression.

Les Russes vont à leur rythme vers une plus grande démocratisation. Pour comprendre le pays, il ne faut pas oublier le choc qui a constitué les années 90.
 


 

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