L'édito de Pascal Boniface

Syrie : pourquoi la Russie ne coopère pas avec les Occidentaux

Édito
2 août 2012
Le point de vue de Pascal Boniface
La Syrie s’enfonce dans la guerre civile sur fond de blocage persistant du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Le nombre de morts augmente chaque jour, les massacres et les tortures se multiplient sous le regard impuissant de l’organisation mondiale, pourtant en charge du maintien de la paix et du respect des droits de l’homme. Cette inaction du Conseil de sécurité est largement due au veto et/ou à la menace du veto russe soutenu par la Chine.
 
Comment expliquer l’impunité accordée par Moscou à Bachar El Assad et le refus de coopérer avec les Occidentaux ?
 
Les raisons sont multiples. Refus de l’ingérence, protection de la souveraineté érigée en principe sacro-saint, volonté de protéger son allié le plus important dans le monde arabe – et en fait l’un des derniers –, crainte de perdre des positions stratégiques au profit des Occidentaux, très faible sensibilité aux mouvements d’opinion publique internationale et à la thématique des droits de l’homme.
 
La Russie apparaît comme la continuatrice de l’Union soviétique, refusant de jouer un rôle moteur pour la protection des droits des populations et constituant à l’inverse un frein permanent au Conseil de sécurité.
 
Pour autant, si Moscou n’est pas un partenaire facile, il est faux de dire qu’elle ne refuse pas systématiquement toute coopération. Ce sont les États-Unis qui ont le plus fréquemment utilisé le droit de veto.
 
Il faut également avoir en mémoire qu’en deux occasions, les efforts de Moscou à coopérer avec le Conseil de sécurité n’ont pas été récompensés et que le Kremlin a pu même se sentir floué pour ne pas dire très trahi.
 
Deux virages historiques ont été manqués.
 
Le premier virage se situe au temps où l’Union soviétique continuait – pour quelque temps encore – d’exister. Après l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990, Mikhaïl Gorbatchev a immédiatement donné son accord pour que le Conseil de sécurité adopte des sanctions incluant la menace d’une intervention militaire contre Saddam Hussein, pourtant allié de l’URSS, si ce dernier ne retirait pas ses troupes du Koweït. Mikhaïl Gorbatchev estimait qu’il y avait là une occasion unique de refonder un ordre international selon les principes mêmes de la charte des Nations Unies.
 
Pour la première fois, l’agression d’un État contre un autre était punie selon la loi internationale. L’ONU n’était plus bloquée par la confrontation entre les deux superpuissances. Cet épisode est aussi important comme marqueur de la fin de la Guerre froide que la chute du Mur de Berlin, même s’il est moins spectaculaire.
 
Comme l’explique Andreï Gratchev dans son livre "Gorbatchev, le pari perdu ?" [1], Gorbatchev ne considérait pas cela comme une concession unilatérale mais l’embryon d’un nouvel ordre mondial qui ne repose plus sur des peurs réciproques mais sur l’interdépendance. L’URSS réformée serait devenue le partenaire à part entière de l’Occident.
 
On connaît la suite. Georges Bush père, après la guerre du Golfe célèbre un "nouvel ordre mondial", mais les États-Unis développent leur unilatéralisme. Invité à la demande de Kohl et Mitterrand au G7 de juillet 1991, Gorbatchev n’obtient pas l’aide économique demandée. Aux yeux des Américains, la Guerre froide ne pouvait se conclure que par l’élimination complète d’un des protagonistes. Ce sera le putsch raté d’aout 1991, l’arrivée d’Eltsine, la disparition de l’URSS, le déclin russe dans les années 90 et le redressement, mais aussi le raidissement de la Russie avec Poutine. La crispation nationaliste de ce dernier est largement explicable par le déclin et les humiliations subis par la Russie dans les années 90.
 
L’histoire bégayait avec la résolution 1973, adoptée en mars 2011. Celle-ci mettait en œuvre pour la première fois le concept de responsabilité de protéger développé par Kofi Annan en 2005 pour tirer les leçons de la guerre d’Irak et sortir de l’impasse entre inaction et ingérence. Il s’agissait d’empêcher Kadhafi de faire un massacre sur Benghazi.
 
Longtemps réticentes, la Russie et la Chine ont accepté de s’abstenir sur le vote de cette résolution donnant un cadre légal à l’intervention militaire qui allait suivre.
 
Malheureusement, cette intervention a été dénaturée par les pays qui participaient. Au lieu de se contenter d’empêcher un massacre sur Benghazi en mettant en place une zone d’exclusion aérienne, on a voulu aller jusqu’à un changement de régime pour renverser Kadhafi. Russes et Chinois mais également les autres grandes nations du Sud ont estimé qu’ils avaient été trahis d’où la persistance de leur refus d’une nouvelle décision Conseil de sécurité.
 
Il ne s’agit pas d’exonérer la Russie de ses responsabilités dans le drame syrien actuel. Elles sont énormes. Mais si on veut à l’avenir qu’elle agisse en partenaire, il faut réfléchir aux occasions perdues où elle était prête à le faire et où les Occidentaux n’en ont pas tenu compte.




[1] Andreï Gratchev, "Gorbatchev, le pari perdu ?"; Armand Colin, 2011, 296 p.

Tous les éditos